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  • : Campo Stellae (Le champ des Etoiles)
  • : Je suis Pèlerine et Citoyenne d'un monde que je parcours en tous sens depuis des années. Par mes récits, croquis ou aquarelles, fictions, photos, carnets de voyages, je laisse ici quelques traces des mondes réels ou imaginaires que je traverse...
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Le 1er jour :
Monfort/Habas
Le 2ème jour :
Habas/Sauveterre
Le 3ème jour :
Sauveterre/ Saint-Palais
Le 4ème jour :
Saint-Palais/Ostabat
Le 5ème jour :
Ostabat
Le 6ème jour :
Ostabat/Bussunarits
Le 7ème jour :
Bussunarits/St-J-Pied-de-Port
Le 8ème jour :
St-Jean-Pied-de-Port/Hunto
Le 9ème jour :
Hunto/Roncevaux
Le10ème :
Roncesvalles/Viscaret
Le 11ème jour :
Viscaret/Zubiri
Le 12ème jour :
Zubiri/Pamplona
Le 13ème jour :
Pamplona/Uterga
Le 14ème jour :
Uterga/Lorca
Le 15ème jour :
Lorca/Estella
Le 16ème jour :
Estella/Villamayor
Le 17ème jour :
Villamayor/Los Arcos
Le 18ème jour :
Los Arcos/Viana
Le 19ème jour :
Viana/Navarrete
Le 20ème jour :
Navarrete/Najera
Le 21ème jour :
Najera/Santo Domingo
Le 22ème jour :
Santo Domingo/Belorado
Le 23ème jour :
Belorado/S-Juan-de-Ortega
Le 24ème jour :
S-Juan-de-Ortega/Burgos
Le 25ème jour :
Burgos/Hornillos
Le 26ème jour :
Hornillos/Castrojeriz
Le 27ème jour :
Castrojeriz/Boadilla
Le 28ème jour :
Boadilla/Carrion
Le 29ème jour :
Carrion/Calzadilla de la C.
Le 30ème jour :
Calzadilla/Sahagun
Le 31ème jour :
Sahagun/Calzadilla de los H.
Le 32ème jour :
Calzadilla/Mansillas
Le 33ème jour :
Mansillas/Leon
Le 34ème jour :
Leon/Villar de Mazarife
Le 35ème jour :
Villar de M./Hospital de Orbigo
Le 36ème jour :
Hospital de Orbigo
Le 37ème jour :
Hospital de Orbigo/Astorga
Le 38ème jour :
Astorga/Rabanal
Le 39ème jour :
Rabanal/Riego de Ambros
Le 40ème jour :
Riego/Cacabellos
Le 41ème jour :
Cacabellos/Vega de Valcarce
Le 42ème jour :
Vega/Hospital da Condesa
Le 43ème jour :
Hospital da Condesa/Triacastela
Le 44ème jour :
Triacastela/Sarria
Le 45ème jour :
Sarria/Portomarin
Le 46ème jour :
Portomarin/Palas de Rei
Le 47ème jour :
Palas de Rei/Ribadiso de Baixa
Le 48ème jour :
Ribadiso de Baixa/Santa Irene
Le 49ème jour :
Santa Irene/Santiago
Le 49ème jour (suite) :
Santiago de Compostelle
Le 50ème jour :
SANTIAGO DE COMPOSTELLA
Le 51ème jour :
Santiago/Negrera
Le 52ème jour :
Negrera/Olveiroa
Le 53ème jour :
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30 décembre 2005 5 30 /12 /décembre /2005 00:58
Le 29ème jour : dimanche 14 Mai Carrion de los Condes/Calzadilla de la Cueza (18km)
 
Réveil un peu tardif ce matin, mais j’ai du mal à quitter les draps de lin brodés des Moniales de Santa Clara. Un coin de ciel bleu se profile entre les rideaux de dentelles de ma petite cellule douillette. Il fait beau, cela me donne le courage de quitter mon lit. Je descends au « réfectoire » où un café chaud m’attend déjà… Je suis servie dans un silence joyeux et dans cet espace où la parole est bannie, les gestes sont harmonieux et l’on devine que les mots ne sont pas toujours nécessaires… Cette halte au couvent des « carlistes » qui ont fait vœu de « silence » me fait l’effet d’une véritable étape de luxe…
 
A 8 h 30 je reprends la route pour ce qui me semble être une journée sans grandes difficultés. Je traverse la ville, passe sur le pont qui enjambe le Carion sur les berges duquel, hier au soir, nous avons esquissé des danses païennes. J’aperçois sur l’autre rive l’imposant Monastère de San Zoilo et j’entame, sur le goudron, la portion de route qui rejoint trois kilomètres plus loin le chemin de terre rectiligne qui part vers Sahagun. J’ai choisi de faire cette longue étape de Meseta en deux jours. Je m’arrêterai donc aujourd’hui à Calzadilla de la Cueza. Bien qu’elle soit relativement courte (18 km) on dit cette étape difficile et le soleil tape déjà fort en ces premières heures du jour. Prévoyante, j’ai fait provision d’eau : une grande bouteille dans mon sac, deux petites dans mes poches…
 
Il faut dire que cette traversée des terres désertiques de Castille constitue l’épreuve la plus difficile du chemin. C’est là dit-on que se situe, pour qui l’accepte avec courage, l’épreuve ultime, l’effort nécessaire à la « connaissance de l’esprit qui anime le Camino ». La preuve « initiatique »… Serai-je différente demain ? vais-je tout à coup, au bout de l’étape, posséder la connaissance universelle ? celle qui me permettrait, enfin, de tout comprendre…
 
Je ne marche que depuis un peu plus d’une heure, je viens de dépasser les ruines de l’Abadia de Benevivere, mais j’ai déjà vidé mes deux petites bouteilles d’eau, celles que je portais dans chacune de mes poches. La route goudronnée s’arrête là où commence une longue piste rectiligne et caillouteuse. De petits arbres ont été plantés récemment tous les dix mètres, mais sont encore trop chétifs pour dispenser un peu d’ombre. Lorsque j’ai quitté Carrion j’ai eu l’occasion de dépasser quelques pélerins, d’autres m’ont doublée rapidement… mais maintenant je ne vois plus personne, ni devant, ni derrière, je suis seule…
 
Devant ce ruban de cailloux qui s’étire à l'infini j’ai comme une appréhension. Le soleil est maintenant haut dans le ciel et tape fort. Après deux heures de marche mon pas est moins vaillant, je n’ose plus lever la tête de peur de découvrir le même horizon sans fin : ce chemin roux bordé de champs uniformes à droite comme à gauche… Ce paysage fleuri mais vide de toute construction est celui du « Pàramo », qui signifie « désert », tout comme le mot « Meseta ». Si je l’avais ignoré je l’ aurais bien compris maintenant. Le désert… à perte de vue. Ni maison, ni arbres, ni ruisseau, ni même chants d’oiseaux… Cette immensité, cultivée mais sans vie, m’impressionne… Et le silence aussi… je n’entends que le bruit, rythmé, de mes propres pas. Jamais je n’ai été aussi consciente d’exister… d’être… Impression étrange d’être vivante au milieu d’un monde inerte.
 
Au zénith mon ombre est devenue presque invisible, comme si les éléments essayaient de « gommer » mon existence. Je tape mon bâton sur le sol, plus fort que nécessaire, non pas que le silence me fasse peur mais pour affirmer que j’existe. Et puis j’ai besoin de marquer le tempo de mes pas, pour ne pas rompre cette marche monotone et qui semble si vaine, pour me donner de l’énergie aussi… Ce rythme, ce bruit que l’on n’entend plus que sur les chemins de terre, cette musique oubliée des gens de la ville, cette cadence là, envoûtante, me rassure et m’encourage. Et du courage, là maintenant, j’en ai besoin pour continuer sans désespérer…
 
Je lève encore les yeux pour découvrir que rien ne bouge, ni dans les champs alentour, ni même à l’horizon. Entraînée par le martellement de mon bâton j’arrive à fredonner une mélopée insensée et sans fin, une sorte de chant guttural qui me vient des tripes, qui résonne dans ma poitrine, remonte d’un ailleurs inconnu et incertain, comme un chant oublié et retrouvé soudain. Je commence à compter mes pas… je calcule mentalement les distances, celle que je connais : la longueur de l’étape, celle que je suppose : la distance qu’il me reste à parcourir… Je multiplie, j’additionne, j’établis une règle de trois, je conjugue au conditionnel, je continue à compter…. Et je regarde désespérément vers l’horizon muet.
 
Je termine ma grande bouteille d’eau. Voilà, je n’ai plus d’eau. Et je commence à douter. Me serai-je trompée ? Ai-je pris la bonne route ? Pourquoi n’y-a-t-il personne sur le Chemin ? C’est impossible, j’ai déjà parcouru une bonne douzaine de km sur ce ruban de cailloux, et je ne vois pas l’ombre d’un village à des lieues d’ici !!!
 
Je continue de compter en marchant, de marcher en chantant, de chanter en comptant. Peut-être ma cadence s’est-elle ralentie, peut-être est-il moins tard que je ne pense, peut-être me suis-je trompée dans mes calculs ?
 
Les yeux perdus, au ras de mon chapeau de cuir, j’observe encore une fois, avec beaucoup d’attention cet horizon qui me nargue. Non… rien… pas « l’ombre » d’une vie.
 
Le chemin remonte et m’oblige à un effort supplémentaire, mes pensées se dispersent entre l’angoisse d’être perdue, la peur d’avoir encore de nombreux kilomètres à parcourir, et l’espèce d’euphorie que je ressens à être libre et seule, dans un espace sans limites visibles, un peu comme si le monde m’appartenait.
 

Arrivée au plus haut de ce dernier dénivellé je ressens un soulagement infini… J’aperçois enfin les toits roses et ocres de Calzadilla qui me semble être tout bonnement le paradis… Le refuge est juste au bas de la pente raide qui mène au village. Lorsque je demande à l’hospitalier si je peux passer ici la nuit il s’empresse de me répondre : bien sûr, mais ne pleurez plus, il y a ici tout ce qu’il vous faut : une douche chaude et un lit confortable, s’il vous plait ne pleurez plus… et je m’effondre en pleurant de plus belle.

 

 

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28 décembre 2005 3 28 /12 /décembre /2005 00:38
Le 28ème jour : samedi 13 Mai Boadilla/Fromista/Carrion de los Condes (32km)
 
J’ai vraiment apprécié cette halte à Boadilla del Camino. Après l’agitation de Burgos, les grandes étendues poussiéreuses et sèches de la meseta entre Hornillos et Castrojeriz, Boadilla m’est apparue comme un petit paradis tout en fleurs. Le printemps jaillit comme par surprise sur les petits arbres du village et je me suis laissée étourdir par le roucoulement des pigeons omniprésents sur les toits de l’Albergue. Oui, vraiment, Boadilla que je quitte à 8h30 me laisse une trace toute de fraîcheur printanière. Je marche vite et je n’ai mal ni aux pieds, ni aux jambes ni au dos… une merveille !
 
Dès la sortie du village je longe le canal de Castille, l’air est encore frais et les toiles d’araignés tremblotantes agrippées aux herbes du chemin étincellent de rosée. Le soleil est une promesse de chaleur, le ciel encore pâle à l’horizon devient d’un bleu intense au fil de mes pas pressés.
Cette ligne droite a un air de déjà vu et je réalise tout à coup que cette image familière est celle qui illustre la première page du « Chemin des étoiles », livre de photographies de Jean-Yves Grégoire que l’on m’avait offert. Je comprends pourquoi ce choix de l’auteur. Cette portion de route emprunte les chemins de halage du canal qui double le Rio Pisuerga. Elle donne bien une idée de l’infini du chemin : un horizon qui se dessine, se laisse deviner mais repousse toujours ses limites visibles…
 
Je viens de prendre la photo d’une écluse ovale, toute en cascades, et je suis hélée par deux Brésiliens qui me font de grands gestes alors que je reprends ma route. Je me rends compte que je prends la mauvaise direction ! Je les remercie chaleureusement et rentre enfin dans Fromista. Il n’est que 9 h 30… J’ai parcouru en seulement une heure les 5 km qui séparent Boadilla de Fromista. J’ai noté sur mon guide que l’Eglise San Martin est un bijou d’architecture romane, à trois nefs, je vais donc vers le centre pour visiter cette merveille mais il me faut attendre 10 h 00. Deux autres pèlerins attendent comme moi que l’on ouvre les portes, un brésilien et un anglais, Brian. Nous échangeons nos impressions sur le Chemin. Ils ont tous les deux fait étape à Fromista où le gîte est très grand et où il y avait beaucoup de monde. Je ne regrette pas de m’être arrêtée dans mon petit paradis printanier…
 
Quand je reprends la route après ma visite de l’église qui servit de modèle à toutes celles qui furent contruites après elle, j’ai la désagréable surprise de voir un itinéraire balisé longeant la route nationale et allant en ligne droite jusqu’à Carrion de los Condes. Je suis cet itinéraire jusqu’à l’entrée de « Poblacion de los Campos » et je fais un crochet pour visiter l’ermitage « San Miguel » (XIIIème siècle) et la Fontaine du même nom dont l’eau est réputée pour guérir tous les maux… Je trouve l’une et l’autre nichées dans la fraîcheur d’une peupleraie sombre et un peu austère. Je poursuis jusqu’à Ravenga et m’arrête quelques instants dans le seul bar du village. J’y retrouve Brian et partage avec lui une bière bien fraîche et bien venue… Nous parlons tourisme en Angleterre et en Irlande, je sens que mon anglais s’améliore sur le chemin, mon espagnol aussi par la même occasion. A la sortie du village il y a une drôle de petite église, située en contrebas de la route, comme dans une excavation. J’y descends… pour une fois la porte est ouverte, il y fait très sombre, comme dans une grotte, mais la lumière du jour y pénètre un peu et l’endroit est frais, calme et serein… J’y ressens une étrange émotion, surtout lorsqu’un rai de lumière vient frôler la statue de la vierge, comme pour mettre en valeur son visage…
 
En quittant le village je m’aperçois qu’un deuxième itinéraire reprend l’antique chemin. Sans hésiter, malgré les 5 km supplémentaires, je bifurque vers la rivière Ucieza que je longe à travers champs. Je passe parfois sous des saules, parfois aux pieds de peupliers dont les feuilles chantent un refrain champêtre, je suis loin de tout… Je descends et je remonte des fossés creusés par le ravinement des pluies et des crues de la rivière. Ces ravines sont perpendiculaires au Rio Ucieza et parfois assez ardues à descendre et à remonter. Je m’épuise à descendre, me retenant pour ne pas poser les pieds au fond du fossé où stagne de l’eau boueuse, je m’épuise à remonter des petits pans de terre à la verticale et dix mètres plus loin à recommencer mon manège. Là je sens tout le bénéfice d’avoir un bâton de marche, il m’est d’une grande aide, c’est un appui sûr qui me sert aussi à tâter la profondeur des ravines piégeuses…
 
Dans le silence immense et bien que je sois seule, je ne me sens pas isolée. Je me sens au milieu d’un Tout dont je fais partie, je me sens à ma place… Je ressens le vent comme un ami qui passerait sa main dans mes cheveux, je ressens l’humidité de la rivière toute proche comme une aubaine pour mieux supporter la chaleur qui est maintenant montée du sol et a rejoint le ciel, je ressens le chant du feuillage et des oiseaux comme un accompagnement musical de ma marche solitaire. Je me sens merveilleusement bien. Je sais que j’ai raison d’être là !
 
J’arrive enfin au pied d’un pont de pierre et me retrouve au milieu d’une mer de brebis que le berger et la bergère essaient de canaliser vers l’autre rive. J’admire le travail des chiens. Je regarde et laisse passer le flot de toisons blanches puis me dirige vers « l’ermitage de la Virgen del Rio ». Fermé. Je laisse aller mon regard sur les courbes et les angles de cette chapelle perdue au milieu des champs et je pose mon sac pour une courte halte expectative. J’hésite entre partir vers « Villalcazar » et sa magnifique église Maria Blanca, belle comme une cathédrale ou, si je continue à travers champs, jusqu’à Carrion de los Condes
 
Je choisi finalement Maria Blanca…. Mais l’église est fermée jusqu’à 17 h00… il n’est que 15 h. Dans le village où je débouche sur la rue principale, il y a beaucoup d’animation… J’ai un peu faim, je cherche une auberge et sur les indication d’un pèlerin d’opérette, vêtu comme au moyen-âge d’une grande cape blasonnée de coquilles, pourvu d’un bourdon et d’un chapeau à larges bords et accompagné de deux musiciens, je me rend dans l’auberge au milieu de la place du village. Je comprends un peu tard que le pèlerin et les musiciens sont là pour faire de la « retape », payés par le propriétaire del « Meson » et à la note qui me sera présentée je comprends que je paye aussi la cape emblasonnée et les musiciens !!!
Après cette halte gastronomique (pardon : astronomique !), je préfère continuer jusqu’à Carion de los Condes par l’itinéraire balisé (et insupportable) qui longe la nationale. Pas effrayée pour autant, une cigogne a choisi de faire son nid à quelques mètres de cette voie très fréquentée... Pour ma part, je commence à peiner et comme souvent, les trois derniers kilomètres me paraîtront horribles …
 
Par chance, le couvent des Clarisses où j’ai décidé de passer la nuit se trouve à 100 mètres après l’entrée de la ville et je me présente à l’entrée del Monasterio de Santa Clara, assez fatiguée pour ne pas dire épuisée. L’accueil est chaleureux et je me retrouve vite sous une douche chaude que j’apprécie avec délices… Je prépare mon lit avec les draps de lin brodés que m’a confiés la clarisse « muette » chargée de mon accueil, et changée de frais, je repars vers le centre ville pour faire quelques emplettes pour mon repas du soir. J’appelle chez moi, en France, je trouve ma famille prête à partir à Bordeaux, à l’anniversaire de mon neveu David… Je suis heureuse d’avoir pu les joindre à temps et de pouvoir leur donner de mes nouvelles…
 
Au centre ville, je rencontre trois françaises de Saint-Gaudens, elles me disent qu’elles rejoignent Isabelle et Béa au bord de la rivière pour un pique-nique improvisé. Je les rejoins après avoir acheté un peu de charcuterie chez un boucher qui étrangement s’appelle « Julio Iglesias »… J’apporte aussi une bouteille de Rioja et lorsque Isabelle et Béa me voient arriver, elles n’en reviennent pas, très joyeuses elles sautent de joie et nous voilà dansant au bord de la rivière, improvisant un banquet joyeux : sardines à l’escabèche, sobressada, jamon serano y cocido, pasteles et surtout deux bouteilles d’un vin rubis qui nous mettra le feu aux joues et que nous vidons allègrement en souhaitant un bon anniversaire à mon neveu David, qui ne saura jamais quelle fête nous avons faite en son honneur, au bord du Carion.
 
Lorsque je rejoins ma chambre chez les clarisses, je découvre une autre pensionnaire arrivée entre temps, une brésilienne très très belle : Carlina. Lorsque je me réveillerai le lendemain, Carlina sera déjà partie…
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26 décembre 2005 1 26 /12 /décembre /2005 09:45
Le 27ème jour : vendredi 12 Mai Castrojeriz/Boadilla del Camino (20 km)
 
 
Ce matin le petit déjeuner est offert par les hospitaleros : café au lait, petits beurres et une pomme… Lorsque l’un d’entre nous fait remarquer qu’il préfère le café sans lait, l’hospitalier lui dit d’accepter ce qu’on lui donne et de ne pas oublier de remercier. La remarque a été faite au pèlerin devant moi… Je me garde de demander mon café sans sucre et j’enregistre la recommandation. En buvant mon café au lait sucré, moi qui ne prend jamais de sucre, je remercie intérieurement l’hospitalier qui me ramène sans le savoir à des saveurs d’enfance que j’avais oubliées…
 
Est-ce la raison qui fait que je me sente si bien ce matin ? J’enfile mes chaussures, ça va. Je me tourne vers Béa l’interrogeant du regard, elle me dit : j’ai eu des coliques toute la nuit, si tu ne te sens pas bien aujourd’hui et que tu décides de prendre une chambre d’hôtel je reste aussi et on reprendra le chemin ensemble demain. Je finis de lacer mes chaussures, je suis étonnée de me sentir si bien. Nous sortons sous le porche de l’Albergue. L’air du matin m’appelle… Tout va bien : on y va ! Béa me suit.
 
Nous remontons la rue principale, laissons à droit l’église San Juan et à la sortie du village nous retrouvons Isabelle très en forme elle aussi. Nous marchons sur une portion de la chaussée romaine, je me sens très émue à l’idée des milliers de pas qui ont martelé ces pierres… L’herbe pousse entre les pavés disjoints de l’antique chemin qui nous mène jusqu’au pont sur le rio Odrilla. Sitôt passé le pont j’attaque le long raidillon de la côte Mostelares à flanc de colline. Je suis très étonnée de ne ressentir aucune douleur au pied droit. Je ne sais si ce sont les soins prodigués hier soir au centre médical de Fromista mais j’ai l’impression ce matin d’avoir des ailes. Je prends rapidement de l’avance sur Isabelle et Béa. A mi-côte elles sont loin derrière moi. Arrivée au Col de Mostelares Isabelle est revenue à quelques dizaines de mètres. Je me porte en avant sur un promontoire qui domine le chemin et je me mets à crier comme Tarzan, l’écho emporte mon rire et le fou-rire m’accompagne encore sur quelques centaines de mètres… On dit que la marche, à un certain degré d’endurance, procure au cerveau une endorphine qui agit comme une drogue antalgique et euphorisante… Si c’est vrai je suis en plein dedans ! Droguée de vent et d’effort, je ne me suis jamais sentie aussi bien. Je ne m’arrête pas alors qu’Isabelle me rejoint presque et attend Béa encore aux deux tiers de la côte. Je lui lance qu’elles n’auront aucun mal à me rattraper… En fait je ne les reverrai plus de la journée.
 
Je passe à Itero del Castillo, près du monastère Hospital San Nicolas. Le magnifique pont d’Itero passe avec élégance sur le rio Pisuerga. Je rentre dans Itero de la Vega et ne trouve pas « le » café-bar Tachu indiqué sur le guide, j’ai pourtant très soif… Une femme balaie devant sa porte, je lui demande un verre d’eau qu’elle m’offre avec un sourire. Alors que je bois longuement l’eau fraîche, j’aperçois Marco qui sort d’une maison voisine et prend le chemin, il ne m’a pas vue. Le temps de finir mon verre et de le tendre à la femme au balai, Marco a pris beaucoup d’avance.. je l’aurai en point de mire pendant quelques kilomètres mais n’arriverai jamais à le rattraper.
 
Une autre montée raide m’attend et ce n’est qu’une fois franchi le col que j’aperçois en contrebas le Village de Boadilla del Camino qu’il me faudra plus d’une heure pour atteindre. En chemin, une voiture s’arrête près de moi, la conductrice me dit que le refuge n’est plus très loin et que si je le désire je pourrai m’y reposer, y manger ou y dormir… J’arrive à 13 h à Boadilla et là je découvre le paradis : « En el Camino » un gîte privé ouvert depuis seulement un an et pas encore trop connu. Je suis, pour une fois, l’une des premières à y arriver, quatre personnes sont déjà installées. Je pose mon sac et décide de faire halte ici et non à Fromista comme je l’avais prévu au départ de l’étape.
 
Je déjeune d’albondigas et d’une délicieuse soupe à l’ail. C’est un refuge privé et je peux faire laver mon linge en machine et l’étendre au soleil. Je fais le tour du village et trouve une épicerie où je peux acheter quelques pellicules pour mon appareil photo (je n’en ai plus depuis Burgos).
 
Je profite du délicieux moment où allongée sur l’herbe, au soleil, je peux mettre à jour mon carnet de bord. Déchaussée j’expose mon pied meurtri au soleil pour assécher les chairs à vif. Je sens toujours l’abcès au dessous de la plaie mais étrangement je n’ai pas du tout souffert aujourd’hui.
 
Je n’ai toujours pas revu Béa et Isabelle… Je les attends à l’entrée du village m’amusant avec un grand bâton à barrer la route à tous les pèlerins qui arrivent leur demandant « le mot de passe » … après la première stupéfaction (les anglais surtout), tout le monde rit… Ah sans le mot de passe vous repartez dans l’autre direction… Je reste là plus d’une heure et comme je ne vois toujours pas mes deux pèlerines, je pars visiter les alentours. Je découvre de magnifiques pigeonniers géants, des chevaux qui gambadent en liberté, des arbres en fleurs… Peut-on dire que le cœur se gonfle de joie ? Je pense ressentir au plus profond ce que veut dire le mot plénitude. Je me dis aussi que peu de moments comme celui-ci nous sont offerts durant toute une vie. Le quotidien dévore notre temps… la vie passe si vite. Je prends ici la mesure de tout ce qui en fait la beauté et que par routine nous ignorons maladroitement.
 
 
Je reviens lentement vers le refuge. Contre le mur du dortoir s’alignent les chaussures des marcheurs de Compostelle. L’air résonne de mots que je ne connais pas mais que je comprends de façon sensitive, anglais, allemands, espagnols ou polonais… j’ai pourtant la sensation que nous appartenons tous à une même communauté de sentiments.
 
La nuit venue, je tombe dans le sommeil comme on tombe au fond d’un puits… et je dors comme une pierre…
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23 décembre 2005 5 23 /12 /décembre /2005 09:16
Le 26ème jour : Jeudi 11 Mai – Hornillos del Camino /Castrojeriz (20 km)
 
La pluie s’est arrêtée et nous partons à trois ce matin. Isabelle, Béa et moi. Nous sortons du village en prenant l’unique rue étroite qui nous conduit à travers champs… Très vite Isabelle prend les devants. Nous la perdons de vue rapidement. Le chemin grimpe vers un plateau qui domine la meseta. Il fait encore un peu frais mais aux abords des vestiges de San Bol le soleil déjà haut réchauffe l’atmosphère… Je me demande si Marco, à qui j’ai dû hier d’avoir un lit au refuge d’Hornillos, s’est arrêté ici pour la nuit. Un tout petit refuge vient d’y être construit, avec une belle cheminée aragonaise. Bien que l’endroit soit désertique tout a reverdi alentour et je regrette de ne plus avoir de pellicule dans mon appareil photo.
 
S’il fait relativement beau ce matin, la pluie de la veille a encore bien détrempé le chemin… très vite je me retrouve avec des bottes de 7 lieues qui pèsent une tonne et avec lesquelles il devient très difficile d’avancer.
 
 
 
Vers midi nous parvenons quand même à Hontanas, magnifique village qui apparaît soudain en contrebas d’une colline, comme une oasis surgit du désert. Il faut être tout près du village pour le voir, les murs de pierre, couleurs de sable, se confondent avec les ocres du chemin et nul arbre ou tâche verdure ne vient interrompre ce camaïeu de beiges…
 
Nous nous arrêtons chez Vitorino alléchées par des odeurs de grillades d’agneau... Le propriétaire des lieux est une figure que l’on n’oublie pas sur le camino. A mi-chemin entre le clown Zavatta et Casimodo… pour l’heure il joue les vedettes en nous faisant la démonstration que l’on peut boire aussi avec son front et son nez… Je ne m’arrête pas à l’aspect peu hygiénique de sa cuisine, je me fis juste à son odeur… le repas sera copieux et réconfortant d’une bonne soupe de garbanzos et de chuletas de cerdo.
 
Mais tout à coup Béa se lève, livide… elle ne se sent pas bien, grelotte. Je l’aide à monter dans une chambre, je lui mets une couverture pour la réchauffer… Dehors un orage brutal a éclaté, fort, mais finalement bref… Je laisse Béa dormir un peu puis je la réveille pour qu’on reprenne la route.Elle se sent mieux, mais ce n’est pas la grande forme. Je l’encourage, sans quoi je crois qu’elle préfèrerait rester ici, mais je ne sens pas très bien ce Vitorino qui nous annonce être encore « vierge » et très désireux de perdre son pucelage avec une pèlerine… Il est suffisamment pressant pour que Béa préfère en fin de compte repartir avec moi !
 
Dès la sortie du village le paysage change complètement : tout est vert, on se croirait en Irlande. Nous passons près des ruines de l’Eglise San Vicente (XI ème siècle) dans le Valdemoro (la vallée des Maures) dont il ne reste qu’un pan de mur, fiché au garde-à-vous au bord du chemin devenu très étroit. La pluie nous rattrape à nouveau puis se calme, nous voyons partir sous nos pieds des lapins, des perdreaux, puis émerveillées nous suivons le plus silencieusement que nous pouvons un renard qui ne tardera pas à nous repérer mais nous observera à son tour tout en gardant une certaine distance entre nous…
 
Nous passons enfin sous l’Arche grandiose du Convento de San Anton, le Couvent de Saint-Antoine où les moines distribuaient autrefois des repas aux pèlerins. Ce couvent fut confié aux Antonins, chanoines d’obédience française, par Alphonse VI. Leur ordre avait été fondé pour soigner le « feu de Saint-Antoine » (érysipèle), les malades au Xème siècle venaient ici chercher la guérison… Les moines ont disparu, mais l’arche imposante surplombe toujours le chemin qui conduit à Castrojeriz dont on aperçoit déjà les premières maisons.
 
La vue sur cette petite ville qui fut un haut lieu du pèlerinage vers Compostelle est à couper le souffle. C’est fantastique, merveilleux… mais le ciel est très noir et le vent fait claquer nos ponchos et le linge que nous avons mis à sécher sur nos sacs à dos. L’arrivée jusqu’à l’Albergue nous semble interminable et la pluie nous rattrape à nouveau…
 
Nous arrivons assez tard, à la nuit tombée, mais il y a cependant un lit pour nous, enfin… un matelas par terre et de plus une grand surprise m’attend : je suis accueillie avec un grand sourire par Alain, le mari de Dominique, une amie des Landes. Hospitalier à Castrojeriz pour quelques semaines, il m’annonce que sa femme est sur le chemin à deux jours derrière moi.
 
Mon pied droit me fait toujours très mal et j’ai peur que cela ne s’infecte, Alain me dit que le médecin de permanence vient demain matin. Je lui montre mon pied… aussitôt il décide de m’emmener au Centre Hospitalier de Fromista à 25 km de là. On « récure » la plaie, on la désinfecte mais le médecin, une femme très douce, décide de ne pas ouvrir, ce qui m’obligerait à m’arrêter. Elle me dit de laisser la plaie sécher à l’air, de désinfecter régulièrement et surtout de ne pas mettre de pommade qui ramollit les chairs et les rend plus fragiles au frottement des chaussures. Elle me conseille d’éviter de marcher au moins une journée. Soins gratuits. Alain me ramène à l’Auberge, je rejoins les trois filles qui m’attendent au bar Oliva. Elles ont terminé leur repas mais ont hâte de savoir si demain je reprends le chemin… A vrai dire, je n’en sais rien encore !
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15 décembre 2005 4 15 /12 /décembre /2005 01:25
Le 25ème jour : Mercredi 10 Mai – BURGOS/HORNILLOS DEL CAMINO (21 km)  

Ce matin je trouve un petit billet de Béa, plié et posé sur mon sac. Elle est partie à 6 h 00 du matin, en grande forme m’écrit-elle et décidée à rejoindre le village de HONTANAS, situé à 32 km (c’est-à-dire une étape aussi longue que celle éprouvante d’hier…).

Je sais que je ne pourrai pas même arriver à Hornillos del Camino, à une vingtaine de km de là,  vu l’état de mon pied droit. J’envisage juste, pour continuer d’avancer un peu, de me contenter d’arriver jusqu’à Tardajos à 11 km de Burgos. Celà devrait me prendre la matinée, et je pourrais ainsi m’octroyer une après-midi de repos, peut-être même trouver le temps de consulter un médecin pour inciser l’abcès au talon droit qui me fait souffrir à chaque pas et s’aggrave de jour en jour.
 
Après un déjeuner succinct offert par les Hospitaliers, je repars seule par un petit chemin de terre et de ciment qui longe la nationale 120. Cette sortie de Burgos est beaucoup moins agitée que les grandes artères arpentées hier. A quelque centaines de mètres du Grand Parc du Parral que je viens de quitter, on se trouve déjà dans la nature. Je longe un grand canal, passe un petit pont et j’ai le temps d’admirer un magnifique moulin très ancien,  avant de m’engager dans un sentier herbeux bordé de grands peupliers. La terre est encore boueuse et mes chaussures s’enfoncent jusqu’aux chevilles, mais je préfère de loin avoir à traverser ces portions très humides que de m’user les tandons sur l’asphalte.
 
Bien que mon allure soit assez lente, j’ai en axe de mire une autre pèlerine que je rattrape rapidement, sans le vouloir vraiment… Je reconnais Isabelle, déjà aperçue à Najera puis à Santo Domingo de la Calzada et à San Juan de Ortega. Elle semble mal en point. Elle me dit avoir été malade la veille et a décidé elle aussi  de faire une courte étape. Nous continuons ensemble, elle accélérant le pas, moi réduisant un peu mon rythme pour marcher de concert.
 
Cette courte étape chemine à travers des champs bordés de peupliers. Le soleil, encore un peu timide, est de retour. L’air est frais mais véhicule déjà des parfums d’estive. Nous parlons peu. Isabelle est très jeune, peut-être aussi un peu timide… Ce silence retrouvé me va bien. A midi nous arrivons à Tardejos. Nous trouvons facilement le refuge situé au-dessus du centre de santé. Celui-ci n’ouvre ses portes qu’à 14 h 00, aussi nous décidons de faire quelques emplettes pour un casse-croûte improvisé sous les platanes qui font face au refuge. Il y a justement là un camion de fruits et légumes, j’achète quelques pommes et une orange, ce sera mon déjeûner.
 
Lorsque les portes du refuge s’ouvrent j’explique à l’hospitalière que j’arrive de Burgos, que j’ai un pied malade et que j’espère rester au repos une demi-journée avant de repartir vers Hornillos…
 
Incrédule, je lui fais répéter trois fois… Elle me « jette » et me dit que si j’ai mal aux pieds je n’ai qu’à me soigner mais que je n’arrive pas d’assez loin pour prétendre à un lit ! Elle accepte par contre deux Allemands qui disent arriver de San Juan de Ortega mais que nous avons pourtant vus descendre de l’autobus quelques minutes plus tôt !…
 
Je suis scandalisée… J’essaie de plaider mon cas, mais rien ne l’ébranle elle persiste à me renvoyer sur le chemin…
 
Rageusement, je reprends mon barda, mon chapeau, mon bâton et je repars à la suite d’Isabelle qui voyant comment tournaient les choses n’a pas attendu son reste et a déjà filé loin…
 
Je bouillonne intérieurement, je prends les oiseaux et le ciel à témoins, je peste, je rage et je la maudis cette fichue bonne-femme dont j’apprends à l’étape suivante qu’elle est connue pour ne pas aimer « les français » et qu’elle est très justement surnommée  Victoria « Fuera Fuera » (« dehors » « dehors »).
 
Ma rage finit par se calmer sur les cailloux du  chemin mais j’ai vite un autre sujet d’inquiétude. J’ai laissé partir Isabelle devant moi. Depuis un quart d’heure une fourgonnette blanche me suit au pas. L’homme qui conduit fait mine de chercher son chemin. Je traverse le village de Rabe de las Calzadas, la voiture est toujours là. A cette heure-ci les rues sont désertes, on déjeûne tard en Espagne et puis après c’est l’heure de la sieste. Alors je m’assieds sur un banc de pierre, je sors ostensiblement mon couteau Laguiole et je pèle lentement mon orange. La voiture tourne au coin d’une rue… j’en profite pour repartir dare-dare et dès la sortie du village je me cache derrière de gros chênes et j’attends. Quelques minutes plus tard la voiture revient et s’arrête à l’embranchement des deux chemins puis s’engage sur la voie de gauche. Le camino est à droite. Je marche très vite jusqu’à ce que je rencontre un couple de français, allongés au bord du chemin et qui se bronzent au soleil. Je ne reverrai pas cette fameuse fourgonnette blanche, le chauffeur n’avait peut-être nulle mauvaise intention, je me suis sans doute laissée influencer par la mauvaise rencontre que nous avions faite la veille… mais à bien y réfléchir… quand même… il avait quelque chose d’étrange dans son comportement…
 
Finalement j’avais besoin de cette inquiétude pour avaler les kilomètres sans penser à mon pied qui, du coup, s’est fait oublier… et alors que j’aperçois les premières habitations du village où je compte faire étape et que je franchis le pont sur le rio Hormazuelas, je vois arriver Béatriz à ma rencontre, avertie par Isabelle qui est déjà arrivée depuis un bon moment. Nous faisons ensemble le kilomètre qui nous sépare du refuge très sympathique accolé à l’Eglise d’Hornillos del Camino.
 
Surprise de taille : le gîte est plein à craquer, mais j’ai quand même un lit. Prévenu de mon arrivée et de mes soucis de pieds, Marco qui était arrivé tôt en début d’après–midi et qui a pu dormir et récupérer quelques heures, me laisse son lit. Je ne me pose pas de question, je le béni intérieurement, me promettant de le remercier chaleureusement si je le revois… et j’occupe la place avec soulagement. L’une des pèlerines qui partagent la chambrée est infirmière, elle regarde mon pied, le désinfecte et me donne une crème antibiotique  pour limiter la progression de l’infection.
 
Nous partons quelques centaines de mètres plus loin jusqu’à l’auberge du village. Là l’ambiance bat son plein, l’endroit est particulièrement sympathique… une trentaine de pèlerins mêlés aux habitués du village occupent toutes les tables… Pas un centimètre de libre sur le zinc du bar assiégé, un brouillard, dû à la fumée des cigarettes, danse autour des suspensions basses qui éclairent la salle et lui donnent un joyeux air de bastringue… Les voix s’interpellent dans toutes les langues et créent une musique de fond babylonienne et chaleureuse. Je me sens très bien et … comment dire… parfaitement à ma place ici. Le repas est très animé et cordial. Nous partageons une table à quatre couverts, il y a là Isabelle et Béa bien sûr mais aussi Maria-Louisa la canadienne, et moi-même.
 
Lorsque nous repartons vers le refuge la pluie tombe à verse mais l’hôtelier ne veut pas nous laisser repartir sous les trombes d’eau, il va chercher sa voiture et nous ramène à bon port, parfaitement sèches…. En remerciement quatre fois deux bises claquent sur ses joues cramoisies et nous rentrons au gîte en riant comme des gamines.
 

Mon pied me fait souffrir toute la nuit… et m’empêche de fermer l’œil. Je pense aussi aux prochaines étapes qui m’attendent : nous entrons dans la meseta, « le désert » qui sur 300 km n’offre qu’une étendue argilo-calcaire de rocailles où l’ombre est rare et le soleil de plomb…

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13 décembre 2005 2 13 /12 /décembre /2005 00:18
Le 24ème jour : Mardi 9 mai – SAN JUAN DE ORTEGA/BURGOS (32 km)
 
 
 
Après la grêle tombée hier soir, les chemins sont encore un peu boueux, mais ce matin il semble qu'il fasse beau lorsque le brouillard se déchire, par intermittence... Béa et moi décidons de faire route ensemble sur cette étape. Nous parlons beaucoup, peut-être est-ce dû à ces journées de marche solitaire qui ont précédé… Nous traversons un petit bois de pins, une clairière où le soleil peine à darder quelques rayons à travers le brouillard épais qui baigne tout le paysage par endroits, puis à nouveau un petit bois de chênes verts… Nous devons traverser quelques champs, ouvrir et refermer de grands portails de bois ou de barbelés pour éviter que le bétail ne divague sur les voies rurales. 
 
 
Après les petits villages d’Agès et d’Atapuerca, le chemin grimpe sec jusqu’à un immense plateau cerné de barbelés qui domine Burgos. Nous traversons un terrain militaire et bien que notre but soit visible au loin il semble s’éloigner à chaque pas, c’est le plus long trajet que j’entreprends sur une journée depuis le début de mon périple mais sans doute pas le plus long de tout le chemin...
 
Sur le plateau une silhouette étrange semble nous suivre, au début nous n’y prenons pas garde, mais sur cette lande pelée où nul accident du terrain ne vient rompre l’uniformité du paysage cette silhouette qui apparaît puis disparaît semble plutôt anachronique… Piquées de curiosité nous y prêtons un peu plus attention. Il s’agit d’un homme à l’accoutrement bizarre, pantalon gris, chaussures boueuses, et un imperméable « rouge » à capuche. Un peu tôt pour un père Noël… On dirait qu’il veut capter notre attention mais, en même temps, qu’il se cache… A un détour du chemin nous l’apercevons encore et là nous comprenons tout de suite à qui nous avons à faire… Il s’agit d’un exhibitionniste, complètement nu sous son imperméable et dont les bas de pantalons tiennent avec des élastiques aux genoux…. Nous hésitons entre la frayeur et le fou-rire… et le fou-rire l’emporte car ce pauvre hère a plutôt l’air minable et nous pensons qu’il doit être transi de froid… Nous accélérons quand même le pas et nous nous congratulons d’avoir eu la bonne idée de marcher à deux ce matin… L’animal fera parler de lui à l’étape du soir, où quelques pèlerines nous conteront leur mésaventure, sans qu’il y ait eu ni agression ni violence… mais il sera signalé aux autorités qui mettront vite un terme à son spectacle de « nu artistique »…
 
Cette rencontre imprévue nous interpelle sur les dangers possibles du chemin. On entend beaucoup de choses d’une étape à l’autre… des mises en garde, des peurs irraisonnées, des « on-dit », j’avoue n’avoir encore jamais ressenti ce genre de peur depuis mon départ … je croise les doigts pour que ça continue.
 
Nous redescendons du plateau qui ouvrait une fenêtre immense sur les alentours de Burgos et le village de Villalval en contrebas sur notre gauche. On aperçoit, toujours au loin, la ville, on devine la cathédrale… mais plus on approche et plus elle semble s’éloigner… Nous pénètrons dans un petit village charmant : Orbaneja et décidons d’y faire halte quand une odeur de « tortilla » et de « jamon » vient nous chatouiller les narines. Nous goûtons le fromage de brebis local, une merveille, et prenons le café au bord de la ruelle où un rayon de soleil vient nous caresser. Visages tendus vers le bel astre nous emmagasinons un peu de sa chaleur et il s’en faudrait de peu que l’on somnole pour de bon… Il reste encore un grand chemin à faire dont la plus grande partie se fera dans la cité. Nous redoutons toutes les deux cette traversée de ville, l’asphalte n’est pas tendre sous le pied et retrouver l’agitation des rues, la pollution des gaz d’échappement, nous qui vivons en marge depuis des semaines, nous angoisse un petit peu…
 
Alors que nous quittons à regret notre petite halte épicurienne, nous rencontrons Marco  et cheminons avec lui jusqu’à l’entrée de Burgos. Marco est issu d’une famille noble et riche et se destinait au sacerdoce. Il sort du séminaire et il est beau comme un dieu… c’est peut-être la raison qui le pousse sur le chemin : réfléchir à la réalité de sa vocation, car dit-il les filles sont trop belles et je ne saurai pas résister toute une vie… Son humour et son détachement (il est peut-être plus aisé d’être « détaché » des choses terrestres quand on est sûr qu’on n’en sera jamais privé…) nous accompagne avec légèreté, nous rions beaucoup et la fatigue semble se tenir encore un peu en retrait…
 
Nous abordons les faubourgs de Burgos qui semblent n’avoir pas de fin. Longs murs gris, zones industrielles interminables, voies rapides encombrées de véhicules bruyants et polluants… l’entrée de Burgos est infernale. Nous avons déjà parcouru 24 km, nous ne le savons pas encore mais il nous reste 8 km à faire pour traverser la ville et atteindre le refuge qui se trouve au centre du Parc El Parral à la sortie de Burgos… oui, un enfer.
 
Je salue au passage la statue équestre du grand capitaine Rodrigo Diaz de Bivar, dit Le Cid Campéador (de l’arabe Sidi, « mon seigneur »), et alors que nous nous extasions devant le fameux cavalier je surprends le regard d’une passante. A l’œil qu’elle me jette je réalise soudain que ma tenue n’a rien d’élégant. Si ce n’était notre coquille bien en vue sur notre sac à dos, beaucoup nous prendrait pour des SDF. Nous en avons un peu l’allure et la vie que nous menons d’étape en étape, sans vrai souci d’élégance ni soin de maquillage et de coiffure a rendu notre mise très « basique » pour ne pas dire « rustique »… Je regarde mes chaussures boueuses, mes mains rendues rugueuses par la vie au grand air, j’imagine mon teint légèrement cuivré (mais surtout grisé par la poussière du chemin), mes habits vraiment défraîchis même s’ils sont lavés régulièrement et je ressens soudain la honte que certains regards peu amènes peuvent déclencher… Je me rassure aussitôt en me pensant « pèlerine » mais ce malaise resurgira de loin en loin lorsque je traverserai les grandes villes. Cela me conforte dans l’attitude bienveillante que j’adoptais jusque là avec les gens de la rue et renforce mon désir d’être avec eux encore plus avenante, du moins de ne pas avoir ce regard qui vous renvoie dans la marge et ne fait aucun cas de votre dignité…

 
Dans le dédale des rues il devient difficile de retrouver la bonne voie et malgré notre fatigue intense nous souhaitons aller jusqu’à la Cathédrale Santa Maria de Burgos, la reine des Cathédrales gothiques, une des plus belles d’Europe. Nous y parvenons enfin… elle est fermée et en réfection, nous ne pourrons que graver dans notre rétine ses vertigineuses flèches s’élançant dans le ciel un peu moins  gris… Nous traversons enfin le quartier des gitans avant de parvenir à l’Albergue de Peregrinos dans le grand parc El Parral. Je suis sur les rotules et mon pied droit me donne bien du souci. L’accueil est excellent et me réconcilie avec les hospitaleros. Après la douche, chaude, je me sens des ailes.
 
Tous les préfabriqués qui composent le refuge de pèlerins sont pleins, on a installé dans le parc d’énormes tentes militaires vert kaki… C’est dans l’une d’elles qu’on m’attribue un lit de camp, c’est spartiate mais c’est un lit… je n’en demande pas plus.
 
Nous allons diner chez « Gloria », une adresse qui passe de pèlerin en pèlerin… une bonne adresse somme toute car après avoir goûté ses délicieux « garbenzos au chorizo» (pois chiches), le sommeil viendra me cueillir alors que je me dis que je ne sens plus mes jambes, que mon pied droit me lancine, que je me sens mâchée de toutes parts, fourbue et courbaturée mais que pour rien au monde je ne m’arrêterai avant Compostelle…
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12 décembre 2005 1 12 /12 /décembre /2005 00:02
Le 23ème jour : Lundi 8 mai – Belorado/San Juan de Ortega (23 km)
 
 
Départ dans le matin triste et pluvieux… Il est 8 h 30 et depuis plus d’une heure déjà j’entends dans la rue, en contrebas de ma chambre, les pèlerins passer au rythme de leur bâton résonnant sur le bitume… Je ne me presse pas, je veux prendre le temps…
 
Je sors du village de Belorado dont je n’aurai pas le « cuno » puisqu’il n’y avait personne au refuge hier soir pour l’apposer sur ma credential. Je franchis le Rio Tiron sur un pont de bois qui double le pont de pierre qui enjambe la rivière… La pluie est de retour et je retrouve la boue des chemins, le sol glissant, les pierres visqueuses et le pas mal assuré. Je n’ai pas déjeûné et je presse le pas pour rejoindre assez vite le premier village situé à 6 km : Tosantos.
Il n’y a qu’un seul bar, à 100 mètres du chemin, curieusement c’est un bar portugais. Je m’y fais servir 2 œufs au plat et un café noir, un régal qui me met du chaud au cœur et me permet de repartir avec entrain.
 
La pluie ne me gêne pas, l’air est frais, mais mes vêtements ont eu le temps de sécher dans la chambre chauffée et je me sens confortable, je n’ai pas froid. Quelques kilomètres plus loin à Espinosa del Camino un groupe d’Espagnols assez âgés (des retraités ?) et très chics, me double… ils n’ont pas de sacs, ils sentent bon et ont le pas alerte… ils m’encouragent gentiment…
 
Je m’arrête quelques instants auprès des ruines du Monastère de San Felix (XIIIème siècle). J’ai toujours un sentiment étrange en présence des vieilles pierres, je ne peux m’empêcher d’imaginer le temps où ces murs protégeaient des vies… Je regarde alentour ce paysage que d’autres yeux ont vu et qui n’a sans doute que peu changé. J’aimerai flâner un peu plus, peut-être prendre le temps de faire une aquarelle, mais le temps ne s’y prête pas, je poursuis donc vers Villafranca Montes de Oca où j’entre en franchissant un pont de pierre sur le Rio Oca. Face à moi l’auberge « El Pajaro » ("l’oiseau"), dernier point de ravitaillement avant San Juan de Ortega. J’y entre et trouve là quelques pèlerins dont Béa, d’Oloron Ste Marie, qui semble un peu fatiguée, peut-être un peu déprimée aussi… J’ai fait une douzaine de km depuis le matin, je décide de faire une petite pause. Le patron du bar, très sympathique, nous dit qu’il a fait lui-même le chemin il y a 7 ans, il nous encourage avec beaucoup d’enthousiasme, finalement nous repartons ensemble pour la deuxième partie de l’étape.
 
Dès la sortie du village la route monte très raide jusqu’à 1100 mètres d’altitude (plus haut que le col de Roncevaux). Nous atteignons « Los Montes de Oca », réputés pour abriter autrefois, les loups et les brigands de grands chemins qui attendaient les pèlerins pour les détrousser.
 
D’abord forêts de chênes verts, puis landes de bruyères en fleurs et conifères, ces monts réputés pour être sauvages sont merveilleusement beaux. La terre y est rouge, la bruyère rose parme se détache sur le vert des taillis dans la lande et en sous-bois, l’endroit est magnifique et se gagne… La pente est raide !
 
Béa et moi parlons beaucoup… et le temps passe vite. J’ai marché pendant trois semaines la plupart du temps en solitaire… et tout d’un coup la parole coule à flot… J’ai besoin de dire le plaisir à marcher, le plaisir tous les matins renouvelé de sentir l’herbe fraîche et ces parfums de nature que le chemin nous offre. Ma compagne de marche a elle aussi besoin de parler… de se confier, de demander conseil. Nous ne nous connaissions pas le matin même et nous sommes là comme deux amies de toujours. C’est « l’effet camino »…
 
Vers 17 heures nous avons l’orage habituel… mais cette fois-ci il s’agit de grêle et l’air s’est tout de suite beaucoup rafraîchi. Nous apercevons le clocher du Monastère et nous nous mettons à courir. Béa plus rapide disparaît à mes yeux. La grêle s’abat sur moi et je n’y vois plus rien. Je manque de m’étaler de tout mon long en butant sur un couple assis au milieu du chemin. Deux jeunes gens, très beaux, attendent là que la grêle s’arrête. Elle a  de longs cheveux blonds, une jupe gitane qui lui colle au corps, lui porte un catogan et bizarrement il est pieds nus… Elle tient les pieds de son compagnon dans ses mains et tente de le réchauffer, ils ont l’air sortis d’un autre monde et je crois bien qu’ils ne me voient pas tant ils ne sont occupés que d’eux-mêmes… Et puis je sens aussi qu’autre chose de très fort les relie, elle le dévore des yeux, on dirait même une sorte de dévotion… Lui … se laisse aimer. J’apprendrai plus tard qu’il est danseur étoile, qu’il a subi une opération des jambes très grave, et qu’ il s’est promis, s’il pouvait à nouveau danser, d’aller à St Jacques de Compostelle pieds nus…
 
Je poursuis mon chemin vers le monastère où j’arrive trempée et grelottante. L’endroit est quasi désertique et impressionnant… une église, un monastère, un petit bar/restaurant…
 

Les dortoirs sont immenses… et froids… et sales. Les douches sont glissantes, froides, que dis-je : glaciales, et … boueuses. L’eau coule marron… J’oserai quand même prendre une douche glacée et je me sentirai après tout à fait revigorée…
 
A 19 heures j’assiste à la messe des pèlerins dans une église superbe et glaciale où une hirondelle nous fera la plus belle oraison du Camino. Je ressors de là frigorifiée et j’apprécie donc infiniment le repas chaud servi dans la petite auberge attenante au monastère où la chaleur de l’ambiance contraste avec la froidure du dehors.
 
J’ai ce soir là beaucoup de mal à m’endormir. Le dortoir ressemble à une caserne, il est sinistre et froid et comble de malheur le refuge est bondé et tous les ronfleurs de la terre s’y sont donné rendez-vous… Ronflements intenses à la limite du supportable ! Je m’enfouis dans mon duvet … demain il fera jour !
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11 décembre 2005 7 11 /12 /décembre /2005 18:32
Le 22ème jour : Dimanche 7 mai - Santo Domingo de la Calzada/Belorado (26 km)
 

Je quitte le refuge vers 7 h 30, il fait beau, je me sens en pleine forme… Je prends la Calle Mayor et dépasse la cathédrale où avait lieu hier soir le concert de musique classique puis je sors de la ville et passe sur le pont du Rio Oja au bord duquel une petite chapelle monte la garde.

 
Derrière moi soudain, un bruit de foule dans le petit matin… je suis rejointe par une nuée de Brésiliens très gais et très bruyants … A ce groupe joyeux se sont jointes deux femmes, une française et une suisse. J’avais prévu de marcher seule, mais notre pas s’accordant je fais route avec toute la bande et finalement je suis gagnée par l’hilarité générale… J’ai l’impression d’être revenue des années en arrière et, galopine aux genoux écorchés, de battre la campagne avec une bande de joyeux lurons. Petit à petit les écarts entre les uns et les autres se creusent et la bande se délite au fil des kilomètres… Vers 10 heures je quitte la Province de la Rioja pour rentrer dans la Province de Burgos et donc dans la région autonome de « Castille y Leon »…. Et je me retrouve à nouveau seule, comme d’habitude et comme finalement j’aime le mieux marcher.
 
Je passe Granon sans fatigue, puis Redecilla del Camino, joli village aux maisons blasonnées. A Castildelgado, je retrouve quelques pèlerins fatigués qui hésitent à continuer et qui, finalement s’arrêtent là, à l’hôtel Chocolatero (un 3 étoiles !…). Je continue jusqu’à Viloria de Rioja, le chemin traverse le village et comme une table en bois et deux bancs semblent m’y inviter, je pose le sac et sors mon casse-croûte…

 
Je suis là depuis un petit quart d’heure quand je suis rejointe par deux pèlerins qui cheminent ensemble, Huguette, qui vient du Quebec et Albert qui vient de Dijon. Huguette porte un joli chapeau de paille dans lequel elle a piqué quelques fleurs des champs. Elle a rencontré Albert sur le chemin et ils ont choisi de faire route ensemble … Albert porte curieusement un chapeau tyrollien, ses joues rebondies, son air rubicond et son rire tonitruant m’indiquent qu’il taquine autant la bouteille qu’il semble porter d’intérêt aux formes girondes d’Huguette… Nous restons là une petite heure à discuter de tout et surtout de rien et repartons ensemble, mais ils ne tardent pas à me distancer et je me retrouve à nouveau seule.
 
Lorsque j’arrive à Villamayor del Rio dont on dit que c’est la cité des trois mensonges (son nom signifie ville principale sur le fleuve alors que c’est un village minuscule sur un ruisseau…), le ciel se fait menaçant et le tonnerre commence à gronder. Je file au pas de course (enfin, ça y ressemble plus ou moins) vers Belorado à 3 km de là et quand j’arrive au panneau d’entrée de la ville la pluie commence à tomber drue… L’Albergue n’est qu’à quelques centaines de mètres, je presse le pas mais j’y arrive mouillée jusqu’aux os pour m’entendre dire par les pèlerins qui s’y trouvent, qu’il n’y a plus de place, même par terre. Dans cet ancien théâtre communal reconverti en refuge de pèlerins, il n’y a pas non plus d’accueil et personne pour me dire où je pourrais dormir… Je repars donc vers le centre ville et je demande à la première passante venue si elle connaît quelqu’un qui pourrait m’héberger pour la nuit….
 
Ma bonne étoile me conduit chez une dame qui loue des chambres… il en reste une libre ! Ce soir je dors dans un vrai lit avec de vrais draps blancs tout doux, je peux prendre une douche chaude, j’ai le chauffage central pour sécher mon linge et ma chambre est même équipée d’une télévision que je suis trop fatiguée pour regarder…
 
Dans la chambre à côté j’entends des voix, puis un rire de stentor qui me renseigne sans doute possible sur l’identité de mes voisins, je m’endors déjà alors que le Québec et la Bourgogne scellent une alliance libertine et bruyante qui ne m’empêchera pas de plonger dans un profond sommeil en souriant aux anges…
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12 novembre 2005 6 12 /11 /novembre /2005 18:38

Conseils de lecture :

A ceux qui veulent "voyager" jusqu'à Compostelle,
mais assis dans leur fauteuil,

ce livre aux merveilleuses images de Jean-Yves Grégoire
chez Rando Editions

et pour ceux qui veulent vraiment partir sur le chemin, un guide à mettre dans son sac (il y a une nouvelle édition chaque année... prendre toujours la plus récente !)

Le chemin de St Jacques
"de St-Jean-Pied-de-Port à Compostelle" de Louis Laborde-Balen et Georges Véron (Rando Editions)

il existe aussi le même guide pour toutes les portions partant de France par une autre voie
(Voie de Tours, d'Arles, du Puy en Velay ou de Vezelay...)

 

Buen camino !

 
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12 novembre 2005 6 12 /11 /novembre /2005 18:36

Le 21ème jour – Samedi 6 Mai : Najera/Santo Domingo de la Calzada

 

 

Encore une fois je suis la dernière à quitter le refuge. Hier, émerveillée devant un vitrine de vêtements, j’ai craqué pour deux jolies robes pour mes filles… ce matin je me suis levée de bonne heure, j’ai laissé mon sac au refuge  pour aller poster le colis en ville, une heure de marche supplémentaire aller-retour avant même de reprendre le chemin… mais elles verront que sur la route je pense aussi à elles…

Le refuge fermant ses portes à 9 heures j’ai du courir pour récupérer mon sac et je n’ai même pas eu le temps de boire un café ! Qu’importe, je prends mon sac, mon bâton, mon chapeau et j’attaque une longue côte en pensant que je trouverai bien un village et un café où petit-déjeûner…

Aujourd’hui je marche loin de la route. Je ne suis pas blasée de retrouver les grands étendues champêtres où alternent les champs de céréales et les champs de vignes.

Je suis partie maintenant depuis trois semaines et je laisse plus de 300 km derrière moi, mais, malgré l’entraînement, démarrer le matin par une longue côte l’estomac vide est un peu rude… ce n’est qu’à Azofra, à 6 km de Najera, que je trouve enfin un endroit où me restaurer… Je pose le sac et vide d’un coup un grand verre de vrai jus d’orange et je demande au bistrotier de me préparer un sandwich au saucisson pour le casse-croûte de midi et deux œufs au plat et un grand café pour tout de suite… ah ! ces 6 km à jeun m’ont donné de l’appétit.

Mon petit déjeuner terminé je reprends mon baton mon sac et mon chapeau et me heurte en sortant à un vieil homme à qui, tout en m’excusant de ma hâte, je demande où se trouve l’Albergue, car je n’ai pas oublié ma promesse faite la veille au Padre Prudencio. Le vieil homme me regarde en souriant et me demande pourquoi je cherche l’Albergue… visiblement ce n’est pas pour m’y arrêter car je viens tout juste d’entamer mon étape du jour. Je lui réponds que j’ai un message pour Maria de la part de son frère Prudencio, prêtre à Najera…. Son sourire s’élargit jusqu’aux oreilles. Il me dit : « Maria n’est pas à l’auberge pour le moment et l’auberge est fermée le matin, mais je peux lui donner le message, Maria est ma sœur… je suis son frère Arsénio et aussi celui de Prudencio ! Comment va le Padre ?… ».
Comme le Padre Prudencio la veille, Arsénio m’accompagne , les deux mains dans le dos, tout en papotant… puis il me dit « Buen tiempo para caminar ! » « Beau temps pour cheminer ! » en regardant le ciel sans un nuage… Sans doute l’interroge-t-il pour apprécier le temps dont il dispose pour m’accompagner un brin de chemin ? Alors  nous continuons tout doucement en devisant comme si nous nous connaissions depuis toujours… Arsénio me raconte les projets hospitaliers de son village, le futur et immense Albergue dont la construction est prévue pour bientôt… on n’attend plus que les crédits de la région…

Chemin faisant, nous nous arrêtons devant une maison d’où sort une femme très souriante. Arsenio me la présente, elle s’appelle aussi Maria et leurs grand-mères étaient sœurs… c’est donc sa petite cousine. Maria me propose un café, un verre d’eau ou de limonade, une orange ?… J’accepte l’orange avec gratitude, pour la route, et Maria me demande de faire une prière pour elle à Compostelle… Elle me prend dans ses bras affectueusement et m’embrasse comme du bon pain. Je sens que son émotion n’est pas feinte. Cette faculté qu’ont les gens de rencontre, sur le chemin, de nous charger, nous pèlerins, d’une part de ce quelque chose, d’important pour eux, qui ressemble à un fardeau, une peine, une doléance, un vœu, une petite partie de leurs espoirs… et de la confiance qui l’accompagne, m’émeut terriblement. Tout d’un coup, sans que nous nous connaissions, ils nous confient un peu de leur vie, de leur espérance, et tout se passe dans un regard, un serrement de main, une accolade, un sourire. Et dans ces moments là… je crois… je crois  que le monde est beau.

Arsenio m’accompagne encore un petit kilomètre et m’explique le chemin jusqu’à la sortie du village. Nous nous disons adieu… il me prend les deux mains, les serre doucement, tout en les secouant, et me dit : « Buen Camino peregrina » « bon chemin pèlerine »… avec un grand sourire… je me retourne plusieurs fois pour le saluer de la main, jusqu’à ce qu’un virage nous cache l’un à l’autre…

A quelques centaines de mètres du village, je tombe sur « El Rollo de Azofra », une sorte d’immense épée taillée dans la pierre et fichée dans le sol. Je n’en connais pas la signification exacte, mais peut-être ce monument fait-il référence à la bataille que vers 1360 Pierre 1er le Cruel remporta avant d’être assassiné sous sa tente, avec la complicité de Du Guesclin, par son demi-frère Henri de Trastamare qui deviendra Henri II de Castille.

 

Il fait très chaud et je marche depuis environ 8 km après Najera lorsque j’aperçois sur ma gauche de magnifiques chênes. Pas un point d’ombre alentour et jusqu’à perte de vue… Je pense qu’il est temps de faire une pause et de profiter de cette relative fraîcheur que m’offre ces grands arbres. En m’avançant plus avant je m’aperçois que d’autres pèlerins ont eu la même idée. Ils sont trois et j’ai un temps d’arrêt en les voyant… Ils ont bien des sacs à dos comme moi mais leur accoutrement contredit ma première impression… On les verrait plutôt sortant d’une réunion d’actionnaires et leur complets vestons noirs, leurs chaussures noires, leur chapeau noir paraissent complètement anachroniques dans le décor. Comme la chênaie est grande je m’installe un peu à l’écart et déballe mon casse-croûte… A quelques dizaines de mètres à droite un berger et ses deux grands chiens garde un troupeau de brebis. L’un des chiens vient me voir pour glaner quelque chose et je lui donne le reste de mon pain. Puis je m’étends quelques minutes pour récupérer un peu, je somnole un quart d’heure. Lorsque je reprends contact avec le réel, je m’aperçois qu’un autre pèlerin est venu agrandir le groupe… il se masse les jambes et a l’air de souffrir. Je lève les yeux, je m’aperçois que le ciel se charge de gros nuages noirs, je décide de repartir en espérant que je les gagnerai de vitesse jusqu’au prochain abri.

Le ciel s’est assombri tout d’un coup, je n’ai fait que quelques centaines de mètres lorsque la  pluie se met à tomber… j’ai juste le temps de m’abriter en courant sous une grange en tôle providentielle. Deux pèlerins s’y sont déjà abrités et m’aident à mettre mon poncho car mon sac, trop haut, m’empêche la manœuvre. Le ciel se déverse sur le toit de taule qui amplifie le bruit. Il pleut à verse… la pluie ne semble pas devoir finir je décide donc de repartir. Je dépasse Ciruena, puis Cirinuela… il pleut toujours. Puis tout à coup l’orage éclate et là je prends peur. J’accélère le pas en essayant de me faire toute petite et de raser le sol…, les derniers kilomètres semblent toujours les plus longs.

J’aperçois au loin Santo Domingo de la Calzada au bout d’une longue très longue descente jonchée de hauts monticules de pommes de terre qui achèvent de pourrir. Plus j’avance plus j’en sens l’odeur putride… à l’entrée de Santo Domingo l’odeur est insoutenable. La pluie s’arrête alors que je rentre dans la ville.

Lorsque j’arrive à l’Albergue, un bâtiment monumental, très ancien et très beau, le refuge est déjà plein à craquer … on m’oriente vers un gymnase où l’on a étalé par terre de nombreux matelas en mousse. Il y a des douches chaudes, de quoi laver son linge et le faire sécher, une petite cuisine avec une cheminée, quelques tables et chaises dehors et même un barbecue.

Il y a aussi, chose étrange, un petit poulailler où se trouvent 3 poules et 3 coqs dont j’apprends qu’ils sont les « rechanges » des volailles de la cathédrale (je raconterai demain la légende du pendu dépendu).

Après une douche réparatrice je vais flâner en ville et visiter la cathédrale. Il y a un concert ce soir  et c’est la répétition. Je m’installe dans un coin et j’écoute, du Mozart, du Bach, je ferme les yeux et je m’imagine que ce concert n’est donné que pour moi… Superbe !

En revenant de la ville, je rencontre les 3 basquaises de Los Arcos, retrouvées la veille au soir à Najera, elles m’ont gardé un lit au refuge. Elles m’aident à « déménager » et je me retrouve dans un petit box très confortable… Nous partons ensemble nous restaurer « Al meson del Abuelo », « l’auberge du grand-père » de pimientos rellenos et de trucha con jamon (piments farcis et truites au jambon)… Il est à peine 22 heures lorsque nous rentrons au refuge, j’ai réussi à joindre ma famille au téléphone, me voilà rassurée (et eux aussi).

Malgré ma fatigue et les 22 km parcourus aujourd’hui, je reste plus d’une heure à attendre que le sommeil vienne et à écouter dans le noir les ronflements, les soupirs, les gémissements, les bruits de sacs de couchage… Juste avant d’être emportée par mes rêves, j’ai l’impression fugitive que tous ces gens autour de moi s’abandonnent enfin dans un instant d’humanité…

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