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  • : Campo Stellae (Le champ des Etoiles)
  • : Je suis Pèlerine et Citoyenne d'un monde que je parcours en tous sens depuis des années. Par mes récits, croquis ou aquarelles, fictions, photos, carnets de voyages, je laisse ici quelques traces des mondes réels ou imaginaires que je traverse...
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pour suivre mon cheminement,
par le "CAMINO FRANCES" 
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Le 1er jour :
Monfort/Habas
Le 2ème jour :
Habas/Sauveterre
Le 3ème jour :
Sauveterre/ Saint-Palais
Le 4ème jour :
Saint-Palais/Ostabat
Le 5ème jour :
Ostabat
Le 6ème jour :
Ostabat/Bussunarits
Le 7ème jour :
Bussunarits/St-J-Pied-de-Port
Le 8ème jour :
St-Jean-Pied-de-Port/Hunto
Le 9ème jour :
Hunto/Roncevaux
Le10ème :
Roncesvalles/Viscaret
Le 11ème jour :
Viscaret/Zubiri
Le 12ème jour :
Zubiri/Pamplona
Le 13ème jour :
Pamplona/Uterga
Le 14ème jour :
Uterga/Lorca
Le 15ème jour :
Lorca/Estella
Le 16ème jour :
Estella/Villamayor
Le 17ème jour :
Villamayor/Los Arcos
Le 18ème jour :
Los Arcos/Viana
Le 19ème jour :
Viana/Navarrete
Le 20ème jour :
Navarrete/Najera
Le 21ème jour :
Najera/Santo Domingo
Le 22ème jour :
Santo Domingo/Belorado
Le 23ème jour :
Belorado/S-Juan-de-Ortega
Le 24ème jour :
S-Juan-de-Ortega/Burgos
Le 25ème jour :
Burgos/Hornillos
Le 26ème jour :
Hornillos/Castrojeriz
Le 27ème jour :
Castrojeriz/Boadilla
Le 28ème jour :
Boadilla/Carrion
Le 29ème jour :
Carrion/Calzadilla de la C.
Le 30ème jour :
Calzadilla/Sahagun
Le 31ème jour :
Sahagun/Calzadilla de los H.
Le 32ème jour :
Calzadilla/Mansillas
Le 33ème jour :
Mansillas/Leon
Le 34ème jour :
Leon/Villar de Mazarife
Le 35ème jour :
Villar de M./Hospital de Orbigo
Le 36ème jour :
Hospital de Orbigo
Le 37ème jour :
Hospital de Orbigo/Astorga
Le 38ème jour :
Astorga/Rabanal
Le 39ème jour :
Rabanal/Riego de Ambros
Le 40ème jour :
Riego/Cacabellos
Le 41ème jour :
Cacabellos/Vega de Valcarce
Le 42ème jour :
Vega/Hospital da Condesa
Le 43ème jour :
Hospital da Condesa/Triacastela
Le 44ème jour :
Triacastela/Sarria
Le 45ème jour :
Sarria/Portomarin
Le 46ème jour :
Portomarin/Palas de Rei
Le 47ème jour :
Palas de Rei/Ribadiso de Baixa
Le 48ème jour :
Ribadiso de Baixa/Santa Irene
Le 49ème jour :
Santa Irene/Santiago
Le 49ème jour (suite) :
Santiago de Compostelle
Le 50ème jour :
SANTIAGO DE COMPOSTELLA
Le 51ème jour :
Santiago/Negrera
Le 52ème jour :
Negrera/Olveiroa
Le 53ème jour :
Olveiroa/Finisterra

 

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17 avril 2006 1 17 /04 /avril /2006 12:13

Compostelle le 45ème jour : SARRIA – PORTOMARIN (23 km)

 

 
Cette étape à Sarria ne me laissera pas de grands souvenirs, pourtant la ville est belle, les témoignages culturels de son passé de ville étape sont nombreux, mais sans doute l’accueil impersonnel de son refuge y est pour quelque chose… Je ne me suis pas sentie à l’aise ici et je quitte la ville sans me retourner.
 
Je longe le mur d’une église où l’on a peint en trompe-l’œil un pèlerin du moyen-âge. La peinture est superbe et figure probablement dans bon nombre d’albums-souvenirs du chemin. Comme beaucoup de pèlerins j’en conserve aussi la trace.
 
Je marche d’un bon pas et dépasse une borne qui m’annonce Santiago à 112 km. J’en ai donc déjà plus de 800 dans les jambes depuis que j’ai quitté le seuil de ma maison dans les Landes de Gascogne : pas étonnant qu’elles tricotent aujourd’hui sans fatigue ! Je dépasse la prison, puis le couvent et le cimetière et descends sur un chemin empierré qui m’annonce le retour aux champs…
 
J’arrive près d’un petit pont médiéval aux deux arches de pierre : el Ponte Aspera sur le rio Pequeno (la « petite rivière ») je traverse ce joli pont et me retrouve sur un beau chemin de pierre qui me conduit jusqu’à la voie ferrée. Combien de trains y passent chaque jour ?? Sans doute bien peu, ça ne me semble pas être une voie très fréquentée, pourtant, juste quand je m’apprête à la traverser, j’entends un sifflement aigu qui m’arrête brutalement dans mon élan. Un train arrive et passe à quelques centimètres de mon nez, suffisamment lentement cependant pour que je vois sourire le conducteur du train qui me gratifie d’un clin d’œil complice et goguenard en levant son pouce en signe d’encouragement…
 
Dès les premiers kilomètres je me retrouve dans une nature où le vert domine. Chênes, chataigniers ou bouleaux font la part belle à cette débauche de petits bois, de bosquets, de chemins qui serpentent et se perdent dans un labyrinthe de voûtes émeraudes, vert jade ou tendre céladon… Une campagne comme on en rêve où ne manquent ni l’eau cristalline des ruisseaux (canalisés) ni les gués, comme celui du Régo del Rio où je m’amuse à passer en sautant sur un pied comme on joue à la marelle.
 
La journée est belle, le soleil brûlant, mais la voûte des grands arbres m’enrobe de fraîcheur et marcher aujourd’hui est un vrai délice. Je m’enivre des odeurs de cette belle nature… J’essaie, comme si je goûtais à un plat épicé, d’en retrouver tous les ingrédients : un fumet de bois humide et vermoulu, une trace légère de jacinthe des bois, le musc de quelques poils de mouton accrochés aux barbelés d’un champs. J’ouvre grand mes narines, j’équarquille les yeux, j’ai les oreilles aux aguets… Je goutte chaque seconde de cette marche solitaire et bienheureuse. Au creux d’un énorme, d’un immense, chataignier, je trouve un petit bouquet de fleurs, laissé là sans doute par un autre pèlerin. Puis je quitte la forêt où le chemin rétrécit jusqu’à laisser à peine un passage étroit entre deux haies et débouche sur les champs. Je marche depuis une bonne heure lorsque j’entre dans le hameau de Vilei où la borne 108 m’apprend que Santiago de Compostella n’est plus qu’à 4 ou 5 jours de marche…
 
A Barbadelo je m’arrête quelques instants au refuge de la Xunta construit dans une ancienne école, j’y rencontre une charmante dame chargée de son entretien, nous parlons un peu, elle me fait visiter le refuge, propre et confortable et tente de me convaincre de rester. Mais il est trop tôt pour m’arrêter ici, bien que l’endroit me paraisse plus sympathique que Sarria je poursuis ma route. A peine sortie du petit hameau de Rente j’entre dans celui de Mercado da Serra, le chemin n’est plus qu’un sentier étroit qui chemine entre des murets de pierres où je prends le temps d’admirer un magnifique lézard bleu cobalt et de lui tirer le portrait...
 
Je marche depuis plus de deux heures, je suis au milieu de nulle part, les chemins se croisent, tantôt bordés de murs empierrés, tantôt bordés d’arbres imposants et magnifiques. De loin en loin je traverse des hameaux, des fermes et des ruisseaux où des dalles plates ont été disposées pour éviter les bains de pieds. On les appelle « Corredoiras » mot qui rappelle notre mot français de « corridors », oui ce sont des sortes de couloirs de pierres qui permettent de traverser à sec.
 
A Peruscallo je me demande si je ne me suis pas trompée de chemin… la route se termine en cul de sac, au milieu de la place du village ! Mais les indications de mon précieux guide (« le chemin de St Jacques en Espagne » par Georges Véron et Louis Laborde-Balen chez Rando-éditions) me permettent de retrouver un passage (une ruelle) entre deux maisons pour poursuivre jusqu’à As Cortinas… Le soleil tape fort mais tous ces passages aquatiques et ombragés rendent la balade buccolique… C’est là que je rencontre un couple charmant : Paul et John, anglais à l’accent so british, qui me donnent l’occasion de tester à nouveau mon anglais (à l’accent so french !!). Paul et John ont entrepris ce pèlerinage à l’heure de la retraite et sont venus de leur lointaine et froide Angleterre se rosir les pommettes sous le chaud soleil Espagnol. Tout en entretenant une conversation fort courtoise nous marchons vers Morgade où nous décidons de déjeuner à la même table à la « Casa Morgade » où beaucoup de pèlerins se sont arrêtés. Au cours du repas nous faisons plus ample connaissance, je me présente, Paul et John font de même et je suis touchée par leur extrême gentillesse lorsqu’ils se sentent obligés de me préciser qu’ils sont « un couple » (ce que j’avais compris dès la première minute….). Paul et John sont sexagénaires ou septuagénaires… ils me confient, à mots couverts, la difficulté qu’ils ont eu à vivre leur histoire, du temps de leur jeunesse et quelques fois encore, l’hypocrisie de leurs familles respectives, les regards désaprobateurs, le moralisme des bien-pensants. Mais leur couple a tenu bon, Paul et John me disent qu’ils vivent ensemble depuis plus de quarante ans sans que leur amour ait jamais failli… Je les remercie de me faire don de ces confidences si intimes, ils me répondent qu’ils en sont eux-mêmes surpris mais que quelque chose dans mon regard leur a laissé penser qu’ils pouvaient le faire… Paul pose sa main sur la mienne, me regarde droit dans les yeux et me dit : « Etes-vous vraiment pèlerine ? ou un peu magicienne ? » Un courant passe entre nous, ou peut-être bien un ange… Je les quitte à regret car ils restent à Morgade, ils font de courtes étapes « pour ménager leurs vieux os » me disent-ils… Moi je poursuis vers Porto-Marin où je compte bien dormir ce soir. Je les salue en leur souhaitant « Bon Chemin »… pour toute la vie. Peut-être les reverrai-je à Santiago
 
Il me reste encore une bonne dizaine de kilomètres à parcourir avant l’étape du soir. Je dépasse Ferreiros et la chapelle de Mirallos, puis le hameau de Pena, puis ceux de Rozas, de Moimentos et de Mercadoiro et là mes pieds commencent à me faire souffrir…
A Moutras alors que j’aborde une route goudronnée je m’arrête un instant sous un arbre pour enlever mes chaussettes et faire prendre un peu d’aise à mes pieds. A quelques mètres de moi un troupeau de brebis broute calmement dans un silence impressionnant. Quelle impression étrange de sembler être seule au monde… Depuis mon départ de Morgade je n’ai rencontré personne sur le chemin, personne non plus lorsque j’ai traversé tous ces hameaux aux volets clos… J’intervertis mes chaussettes et remets mes chaussures… cela me donnera un peu de répit pour quelques kilomètres de plus. Encore quelques hameaux déserts : Parrocha puis Vilacha, une église perdue dans les champs, un cimetière beau comme un tableau, puis une descente raide vers une route goudronnée qui m’annonce la civilisation ! Lorsque je traverse le pont qui débouche sur un immense escalier au pied de Portomarin, je me penche vers les eaux vertes du plan d’eau où je sais que l’ancien village a été englouti et qu’on en aperçoit parfois les ruines dit-on par basses eaux… Le village a été noyé en 1962 pour la création d’un barrage. La chapelle de Sainte-Marie-des-Neiges a été sauvée parce qu’elle se situait sur une hauteur mais l’église du village, San Juan (église forteresse qui appartenait à l’ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem), a été démontée pièce par pièce et reconstruite à l’emplacement du nouveau village, ainsi que les monuments les plus importants comme le Palais de Berbetoros et la Casa dos Condes.
 
Au village il y a foule. De nombreux pèlerins m’ont devancée et lorsque j’arrive au refuge qui dispose pourtant d’une centaine de lits, on me répond d’attendre pour voir s’il reste de la place. J’attends donc que quelqu’un me dise si je peux disposer d’un lit. L’attente est un peu longue… Au bout d’une heure c’est moi qui bous d’impatience… Je repars vers le centre ville et me renseigne sur une place dans l’un des quatre hôtels qui affichent tous complet… Au bout de deux heures d’errance dans la ville, très jolie d’ailleurs ce qui explique sans doute le nombre important de touristes qui déambulent dans les rues, je reviens vers le refuge, me dirige vers les dortoirs et sans rien demander à personne, je m’attribue un lit qui ne semble pas occupé. J’y pose mes affaires, je vais prendre une douche, me change et repars vers la ville pour dîner. Je retrouve à la terrasse d’un café Joël, l’Alsacien que j’avais rencontré juste avant Triacastella et avec qui j’avais dîné le soir. Il m’invite à boire une bière et me présente Heinz, barbu jovial et pèlerin Allemand rencontré sur le chemin. Je dîne avec les deux compères et la soirée est fort gaie. Je poursuis ma découverte des spécialités gastronomiques locales en dégustant une Lamprea estofada (lamproie à l’étouffée) et en comparant les différentes mérites du Bierzo déjà goûté avant le passage du Cebreiro et du Ribeira de Galice. Ah… cheminer vers Saint-Jacques est une entreprise qui ne réserve pas que des difficultés, de la souffrance et des sacrifices !!!
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15 mars 2006 3 15 /03 /mars /2006 13:32
 
le 44ème jour : Lundi 29 Mai
TRIACASTELA /SARRIA (18 km)

Après être passée au distributeur pour retirer un peu d’argent je prends la route de la montagne. Il est 8 h 30. Dès le début, la montée est assez raide sur quelques kilomètres. Peu de monde devant moi, et peu derrière… Je crois que la plupart des pèlerins a pris l’option de la route goudronnée, plus sécurisante. Enfin, c’est ce qu’ils disent parce que pour moi, sentir passer les voitures qui vous frôlent, ça ne me sécurise pas du tout et j’ai un très mauvais souvenir de la portion d’autoroute près de Léon, sur laquelle je me suis retrouvée par inadvertance et des deux kilomètres que j’ai dû y faire avant d’en trouver la sortie.

Ce matin le ciel est encore bas, la brume recouvre tout et laisse à peine entrevoir des lambeaux de paysage magnifique. Je devine plus que je ne vois un environnement féérique, un peu Forêt de Brocéliande, un peu celle moins connue d’Oshogbo pour la profondeur de ses verts… Je grimpe vers le petit village de Belsa, dépassé sitôt qu’atteint, clos par une petite, toute petite chapelle en plein bois « Notre Dame des Neiges ». Je monte à travers une double bordure de fougères et de taillis d’un vert profond. Beaucoup de châtaigniers, comme à Pradella avant le Cebrero, des chênes, des frênes.... Et puis quelques cerisiers sauvages qui ont l’air de s’être égarés là dans cette contrée du bout du monde…

Au col de l’Alto de Riocabo, un petit chien joyeux veut absolument m’accompagner un bout de chemin. Il saute dans tous les sens et attrape ma manche pour jouer avec moi. Je suis déjà loin de toute habitation, que fait ce petit chien si loin du village de San Xil ? Il m’accompagne sur quelques centaines de mètres, puis disparaît comme il était venu… Puis je me trouve nez à nez avec une brebis ! Elle a dû s’échapper de son troupeau… elle a l’air affolé. Je lui parle doucement, elle finit par venir renifler le petit bout de pain que je lui tends. Je la caresse entre les oreilles, elle se laisse faire. Je pense que le troupeau ne doit pas être loin, il me semble entendre des bêlements vers la gauche. Doucement je la dirige devant moi, et finalement elle me suit comme un chien, comme si elle pressentait que j’allais la ramener vers la bergerie. Moi j’en suis moins sûre… mais j’entends bien un troupeau quelque part un peu plus loin et un chien qui aboie… on va bien retrouver ses sœurs. De temps en temps la brebis s’arrête et lève la tête vers moi… Est-ce qu’elle me demande si je suis sûre du chemin ? Je continue doucement pour ne pas l’effrayer et elle me suit toujours… Et puis j’aperçois le troupeau. Il est bien là, juste au bord du chemin, le chien s’époumonne et fait de grands cercles autour des brebis, le berger est là aussi, appuyé contre un chêne il me tourne le dos. Je l’appelle, il vient vers moi et découvre ma compagne de route… Je crois bien que ni lui ni le chien ne s’étaient aperçus du départ de la fugitive… Il me remercie avec un grand éclat de rire. Je décide de faire une petite pause et lui propose de partager mon morceau de fromage et mon pain. D’abord étonné il accepte et tout en grignotant nous faisons connaissance.
Pascual, c’est son nom, n’a jamais quitté son village. Il me demande d’où je viens mais pas où je vais… il voit passer presque chaque jour des pèlerins en route vers Compostelle, mais il me dit aussi que rares sont ceux qui s’arrêtent pour lui parler… Il me raconte sa vie simple, avec des mots simples, et s’excuse de n’avoir pas été à l’école. Mais il me dit aussi qu’il aime sa vie, son village et ses brebis… et son chien. Il me dit qu’il est heureux. Et il commence à chanter la "jota"… j’en connais peu mais j’entonne à mon tour un refrain… « por aquel camino verde… », Pascual chante de plus belle et je reprends sans trop réfléchir et je me laisse aller comme il faut le faire quand on improvise. Pascual et moi chantons la "jota" et le chien vient me renifler méthodiquement pour s’assurer que je suis respectable et mérite tout ce temps que son berger me consacre… puis il s’allonge sur mes pieds et regarde les brebis au loin, d’un air distrait. Je n’ai pas envie de partir… je voudrais que s’éternise ce moment de… bonheur. Mais le temps passe, j’ai encore beaucoup de chemin à faire jusqu’à Sarria, alors tout en continuant de chanter, je dis au revoir à Pascual, il me répond en chantant… je lui réponds en écho… Je l’entendrai toujours au détour du chemin alors que je ne le vois plus… je lui répondrai encore en chantant à tue-tête jusqu’à ce que le vent disperse nos voix et que le silence de la forêt me reprenne…

 

J’ai traversé Montàn et le ciel s’éclaircit tout à coup. Je découvre une jeune pèlerine assise sur un muret, elle souffre d’une tendinite. Elle fait route avec d’autres pèlerins mais sa marche ralentie l’a laissée loin derrière eux. Je décide d’accorder mon pas au sien et de marcher avec elle. Nous avançons lentement et Robin, jeune Australienne dont c’est le premier voyage en Europe, apprécie ma patience, tout en se demandant si elle va pouvoir arriver jusqu’à Sarria. J’ai compris qu’en parlant, en l’obligeant à raconter ses étapes jusqu’ici, elle oublie peu à peu sa douleur. Je la distrais comme je peux, je lui promets un massage, ce soir à Sarria, pour la soulager, mais vu son état, je pense en moi-même que cette étape sera probablement pour elle la dernière qu’elle fera à pied…

 

Le ciel joue avec nous : tantôt noyé de brume le paysage disparaît et réapparaît quand un rayon de soleil déchire le brouillard d’un coup, puis redisparaît quand le ciel s’obscurcit à nouveau…

 

Le petit déjeuner de 8 heures est déjà loin le morceau de fromage partagé avec Pascual ne m’a pas rassasiée et la jolie grimpette que je viens d'effectuer m’a donné faim. Une pancarte alléchante nous promet : « comidas, bocadillos, bebidas… » et plein de bonnes choses. Nous nous réjouissons de pouvoir faire un petit break et nous cherchons la fameuse « tienda ». A la sortie du village de Pintin, on me signale qu’elle se trouve à l’entrée : « Casa Tuya »… on ne peut pas la rater il n ‘y en a qu’une ! De fait il y a bien une minuscule fenêtre qui s’ouvre et une bigleuse tout droit sortie d’une film d’horreur nous propose un paquet de biscuit périmés ou un soda tiède… Elle n’a pas de bocadillos pour le moment dit-elle, ni aucune des merveilles promises sur la pancarte (si elle les a jamais eues !). Trois pèlerins Français qui ont commencé leur pèlerinage au Cebrero nous proposent quelques biscuits aux céréales et une orange, nous partageons cette collation providentielle assis sur un banc de bois, ou plutôt une planche posée sur deux parpaings au bord de la route. Et puis nous repartons doucement vers Calvor, le brouillard s’est dispersé, l’air est moins humide et bien que le paysage soit loin d’être ensoleillé, le temps est plus clair. Nous passons devant un refuge, ouvert mais totalement vide, bien qu’une dizaine de sacs à dos gisent là devant la porte… Il y a aussi une cabine téléphonique, j’en profite pour appeler la maison, donner des nouvelles, en prendre… Puis clopin-clopan, je repars avec Robin qui a de plus en plus de mal à marcher. En la portant presque, nous arrivons à Vigo, banlieu de Sarria et Robin a la joie de retrouver là ses amis qui l’attendaient avec un taxi. Elle a à peine le temps de me dire merci que ses amis claquent déjà les portières et s’en vont avec elle dans un hôtel du centre ville où ils ont retenu des chambres entre-temps.

 

Je me retrouve à nouveau seule pour traverser la ville. Ultime épreuve pour accéder à l’Albergue, un monumental escalier à gravir avant d’aller frapper à la porte du refuge, bondé, il va sans dire… Je dépose mes affaires sur un lit au hasard puis ressors aussitôt goûter de l’air du temps.
En flânant dans les rues de Sarria, j’arrive par hasard dans le parc public de la ville, il est 19 h, l’heure du « paseo ». Je m’assied sur un banc et regarde autour de moi : tout le monde est dehors, les enfants jouent en piaillant, les mamies discutent entre elles en tricotant, les papys regardent les jambes des mamans qui, elles, surveillent les enfants… Moi, on me regarde les pieds… et on me demande si je suis anglaise !

 
Je goûte l’instant : l’étape d’aujourd’hui a été courte, 18 km, mais j’ai eu le bonheur d’admirer de magnifiques paysages, de traverser des forêts profondes et de rencontrer Pascual…
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24 février 2006 5 24 /02 /février /2006 15:08

L'avez-vous vu ?

Non ?

Alors si le Chemin de Saint-Jacques de Compostelle vous appelle...

courez voir le film de Coline Serreau qui est un hymne au Camino... Cliquez sur l'affiche pour en avoir un avant-goût en musique et en images...

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23 février 2006 4 23 /02 /février /2006 14:21
Le 43ème jour : Dimanche 28 Mai Hospital da Condesa/Triacastela (16,5 km)
 
 
 
 
 
Lorsque je quitte le refuge il est 8 h 30, tous les autres sont partis de bonne heure, Sophie aussi, avant même que je me réveille, elle a glissé un petit mot dans mon sac et son adresse… Le gîte est toujours aussi froid et je n’ai rien pour déjeuner… Je m’enfuis presque sur le chemin pour pouvoir me réchauffer un peu. Mais il pleut, encore, à verse, une pluie glacée qui pénètre ma veste… qui dégouline tout autour de mon chapeau de cuir et le long de mon dos… Très vite j’ai un litre d’eau dans chaque chaussure et ça me rend la marche difficile. Le sol aussi est glissant. Je ne vois personne sur le chemin… Par moment je surplombe la route et, entre deux nappes de brouillard mouillé je vois que quelques pèlerins ont préféré le goudron…
 
L’horizon est complètement bouché. Je ne vois pas grand chose et pourtant je me rends compte que le paysage doit être exceptionnel par beau temps. J’entends des pas derrière moi, bientôt un pèlerin me double, je le salue, il ne me répond pas mais m’envoie une belle bouffée de fumée. Parce qu’il fume en marchant… la cigarette pendant au coin de la bouche, il me bouscule presque et continue comme s’il ne me voyait pas. C’est un géant… enfin, il est très grand, très gros, très lourd et il sent très mauvais… C’est peut-être bien un ours… égaré dans la montagne ! Sa fumée de cigarette me flotte longtemps dans les narines et me soulève le coeur. Je n’ai encore rien mangé ce matin et cette odeur me donne la nausée… Il a une drôle d’allure ce pèlerin bizarre. Lunettes et moustaches comme s’il voulait se cacher, le sac de guingois sur le dos et l’allure mal assurée comme si c’était sa première randonnée… Ca me fait penser à ce qu’on raconte sur le chemin… que certains profitent de sa relative liberté et des grands tronçons désertiques pour s’y cacher ou s’y rencontrer… On parle de l’E.T.A… On parle de trafics auxquels le chemin servirait malgré lui… On dit beaucoup de choses…
 
Le chemin étroit descend à flanc de colline au milieu de pâturages, de vergers, de potagers... J’ai l’impression d’être de retour en France, quelque part dans le Pays Basque. C’est aussi vert, aussi vallonné et aujourd’hui aussi mouillé…
 
Après plus de deux heures de route j’entre dans le petit village de Padornelo puis quelques centaines de mètres plus loin, à l’Alto do Poïo, je trouve un refuge privé et un bar où j’entre prendre un grand café. L’espagnol un peu bizarre qui m’a doublée sur le chemin est déjà là. Silencieux et taciturne il ne me voit toujours pas. Puis rentre un Français, Alsacien de Strasbourg, nous échangeons quelques mots, je bois un deuxième café mais n’arrive pas à me réchauffer. Dehors il pleut toujours… et il y a beaucoup de vent. Je repars sans conviction dans le grand vent et j’ai vraiment très froid.
 
J’ai déjà parcouru 10 km lorsque j’entre à Biduedo. Je m’arrête à nouveau dans un petit bar au bord d’une rue cimentée, pour manger une portion d’omelette espagnole, un peu de chaud dans tout ce froid… mais je ne reste qu’une demi-heure et je repars… toujours sous la pluie. Lorsque je passe sous les lignes à haute tension (il y en a plein tout au long de cette étape) j’entends ronronner les câbles électriques et grésiller la pluie qui tombe et une peur irraisonnée me fait imaginer qu’un câble pourrait lâcher au moment où je passe dessous. Dans le film « Tandem » qui réunissait Jean Rochefort et Gérard Jugnot, le premier avait une angoisse récurente lorsqu’ils roulaient sur autoroute, celle de voir tomber un vélo d’une passerelle… Et puis une nuit… un vélo tombe mais Rochefort dort et ne s’en rend pas compte.. Si ça se trouve un câble est tombé après mon passage !… Je meuble comme je peux cette étape solitaire et silencieuse, si différente de celle ensoleillée d’hier. Je me refuse à penser à des choses trop graves, ou trop sérieuses, j’ai en toile de fond la proximité du terme de mon voyage… Ca m’angoisse. Je n’ai pas envie de penser que cette marche a une fin et que cette fin approche.
 
La pluie a détrempé la terre grasse de ce pays de Gals, et elle colle aux chaussures, je patauge dans la boue, dans les flaques d’eau et glisse dans les bouses de vaches… Je quitte les monts du Cebreiro pour entrer dans la petite vallée de l’Ouribio et quand j’arrive à Triacastela, la ville des trois chateaux, il pleut toujours.
 
C’est ce qui me décide à faire halte ici et à ne pas poursuivre jusqu’au Monastère de Samos où j’avais espéré arriver mais qui est encore à 10 km de là.
 
Le refuge de la Xunta de Galice est très vaste et installé dans un parc. Les bâtiments, fonctionnels et anonymes, immenses dortoirs, douches chaudes, laverie pour le linge me paraissent gris et tristes. Ce confort est pourtant bienvenu bien que l’endroit ne me semble pas vraiment accueillant, je veux dire, pas vraiment chaleureux.
 
La chaleur, je finis par la trouver au restaurant qui fait face au refuge. Il faut commander son repas du soir. Puis, l’heure n’étant pas encore venue (on dîne tard en Espagne !) j’en profite pour laver tout mon linge et le mettre à sécher… Je prends une douche chaude, merveilleuse, me fais un shampoing, me sèche les cheveux… comme c’est étrange de retrouver des gestes de confort souvent oubliés sur le chemin… Mes cheveux, coupés court à Saint-Jean-Pied-de-Port, vivent très bien cette liberté en plein vent, sous le soleil et sous la pluie. Ils sont devenus blonds comme les blés à force de soleil et frisent comme le manteau d’un mouton. Hirsute mais propre comme un sou neuf je repars au restaurant pour dîner. Le patron à installé mon couvert à une table pour deux personnes et me demande si cela me gêne de la partager avec un autre pèlerin. J’accepte bien sûr et me retrouve face à l’Alsacien aperçu rapidement ce matin à l’Alto do Poïo… Il s’appelle Joël… nous parlons beaucoup… entre temps le restaurant s’est rempli mais il y a peu de pèlerins. Le village vit sa propre vie, avec, mais pas exclusivement pour le chemin. Beaucoup d’hommes dans le bar… le verbe haut, le rire fort, l’accent qui roule comme les galets d’un torrent. La fumée embrume l’atmosphère, mais je me sens bien… et mon vis-à-vis est quelqu’un d’intéressant. Il élève des chevaux en Alsace et vit à la campagne comme un homme des bois me dit-il ! Joël est jovial, son regard sourit toujours, ses pommettes rouges l’étiquette comme un « bon vivant »… et pourtant Joël, comme les autres, porte son fardeau sur le chemin. Le courant passe bien entre nous, les heures filent sans que nous nous en rendions compte et rendent à cette journée sans soleil la chaleur humaine qui lui faisait défaut pour la rendre, comme les autres, mémorable…
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21 février 2006 2 21 /02 /février /2006 17:45
Le 42ème jour : Samedi 27 Mai Vega de Valcarce/Hospital da Condesa par O'Cebreiro (18 km)
 
Lorsque je me lève, vers 8 h, je vais tout de suite à la fenêtre : il fait un temps magnifique, un temps idéal pour monter là-haut : au Cebrero (O’ Cebreiro en Galicien). Sur le chemin de St Jacques il y a deux passages que l’on redoute : celui des Pyrénées pour atteindre Roncevaux et celui du Cebrero pour atteindre la Galice, ultime étape régionale qui nous conduit à Compostelle. Passé O' Cebreiro, il n’y a plus de grosses difficultés jusqu’à Santiago… il suffit de descendre…. Enfin, presque.
 
 
Mais tout au long du chemin qui nous a mené(e)s au pied de cette montagne, nous avons entendu beaucoup d’histoires pas toujours heureuses sur les dangers de ce passage… Le temps, aujourd’hui est donc un atout supplémentaire pour sa réussite. La petite Sophie et moi décidons de faire l’étape ensemble et nous quittons Vega de Valcarce, la vallée-prison, en laissant sur les hauteurs de la rive gauche du Rio Valcarce les chateaux de Veiga et de Sarracin, véritables nids d’aigles qui appartenaient jadis aux Templiers.
 
 
A Las Herrerias il y avait autrefois des forges. Elles ont aujourd’hui disparu… mais les eaux du torrent s’en souviennent encore… Puis nous traversons le dernier village de la Province de Leon (niché à 1200 m) : La Laguna dont les fameuses "pallozas" (maisons aux toits de chaume) indiquent que nous sommes presque déjà en Galice... Depuis que j’ai quitté les champs de vignes du Bierzo encore tout proche, je sens bien que l’environnement change… Je le sens à l’odeur d’humus qui monte de la terre et parfume nos premiers kilomètres. Nous entrons petit à petit dans la verte Galice celtique, si semblable à notre Bretagne… Ce ne sont plus des champs de blé de seigle ou d’orge, ni même de nobles vignes, nous traversons des forêts de chênes et marchons dans les fougères, même la terre du chemin est plus brune, plus grasse. Je vois au bord du chemin les premières et superbes hampes fleuries de la digitale pourpre (digitalis purpurea) qu’on nomme aussi « Gants de Notre-Dame » ou « Queue de Loup », qui ponctueront maintenant mon chemin tout au long des étapes galiciennes…
 
 
Je ne sais si c’est le ciel si bleu et le soleil si chaud qui me donnent cette énergie, mais aujourd’hui rien ne me pèse, pas même mon sac dont le poids certains jours devenait insupportable. Malgré l’étape d’hier et ses 28 km de petite montagne par le joli village de Pradella, et surtout la rude descente vers Trabadello, je n’ai mal ni aux pieds ni aux jambes, mon sac me semble être rempli de plumes et je monte tranquillement vers le sommet du Cebrero en goûtant cette fois-ci pleinement la beauté de l’étape. Je remarque que certaines pierres du chemin sont étrangement sculptées d’arabesques ou de signes cabalistiques très beaux. Je n’ai pas eu explication de ce mystère… Je note dans un coin de ma mémoire ces signes étranges…
 
 
Sophie, plutôt réservée hier, me parle aujourd’hui beaucoup. Je dirais même qu’elle lache un flot de confidences que j’absorbe en silence… Je sens bien qu’elle a besoin de parler à tout prix, peut-être de recevoir quelques conseils, mais surtout besoin d’être entendue… Chaque pèlerin(e) a ses raisons pour se trouver sur le chemin… Parfois, en fonction des rencontres et des affinités, on partage ces raisons… Le plus souvent on les garde au fond de soi. Mais si les circonstances sont favorables et la « communion » entre deux personnes assez profonde (et cela peut arriver même après quelques heures seulement…) alors le travail de recherche sur soi peut se faire… la parole se libère et libère… et, comme lorsqu’on écrit pour mieux voir noir sur blanc la raison de son tracas ou ses motivations profondes, les mots peuvent, aussi guérir les meaux … Alors je laisse Sophie me parler, ajoutant parfois le mot qui lui permet de repartir, de rebondir, d’approfondir… J’ai l’impression de tirer sur un fil fragile qui déroule une histoire où l’affectif, la douleur, l’espoir, se mélangent dans la recherche personnelle de la jeune Sophie, d’une jeune fille qui ne fait rien moins que de devenir une adulte… et ce passage comporte aussi des moments, des épreuves, douloureuses…
 
 
Lorsque le soleil est au zénith, nous abordons la mi-côte et choisissons une vaste prairie ensoleillée d’où l’on domine la vallée pour poser nos sacs quelques instants et manger une orange. La vue porte loin jusqu’au flanc opposé de la vallée et tout à coup nous sommes les témoins d’une probable tragédie… la course effrénée d’une biche qui cherche à fuir le chasseur. De l’autre côté de la montagne nous assistons impuissantes à la traque. Alors, lorsque nous voyons le chasseur s’approcher de trop près de l’animal affolé, nous intervenons aussi, en criant, en sifflant, en battant des mains pour faire fuir la biche qui, après un regard dans notre direction, détale au nez du chasseur. Celui-ci nous a vues aussi et nous menace de son fusil, mais tire un coup en l’air ce qui a pour effet d’éloigner définitivement l’animal qu’il pourchasse… Nous sommes ivres de joies, nous nous roulons dans l’herbe en riant aux éclats et en croisant les doigts pour ne jamais nous retrouver sur le chemin du chasseur furieux !!!
 
 
Nous repartons vers O’Cebreiro et prenons la pause devant la borne des 152 km avant Compostelle… Nous avons l’une et l’autre l’impression que derrière cette montagne se profile la fin du voyage… et cela nous donne un peu de vague à l’âme… Nous franchissons sans fatigue les derniers kilomètres qui nous mènent enfin, tout en haut, au magnifique Village d’O’Cebreiro, aux merveilleux toits de chaumes…
 
 
Ce tout petit village aux maisons de pierres brunes resserrées les unes sur les autres autour de sa Chapelle « Santa Maria la Réale » est une étape mythique du chemin. Elle concrétise l’entrée en Galice, notre dernière étape régionale, nous savons qu’il nous suffira d’une semaine tout au plus pour rejoindre Santiago… Nous entrons dans la chapelle royale pour faire tamponner nos credentiales. Il est déjà 14 h et passant devant une auberge aux bonnes odeurs de grillades, nous décidons d’y déjeuner d’une bonne soupe de légumes et d’un poisson « à la plancha »… Puis nous reprenons le chemin car aucune de nous deux ne veut faire étape au gîte trop "peuplé" du Cebrero, nous préférons « pousser » jusqu’au refuge suivant après Linarès
 
 
Depuis que nous avons passé le col du Cebrero, le vent souffle avec violence… Et nous avons laissé le soleil et le ciel bleu de l’autre côté… Il pleut maintenant et le froid mord nos visages et nos mains. Nous marchons côte à côte sur un chemin plus large et reprenons le fil de nos échanges que le chasseur avait interrompus… La pluie tombe maintenant, une pluie fine, douce et glacée qui se mélange aux larmes de Sophie et que je fais mine de ne pas voir… J’essaie moi-même de trouver des mots qui réconfortent sans avoir l’air de m’apesantir sur sa douleur pour ne pas l’amplifier… et puis j’écoute…
 
 
Nous faisons halte à Linares pour acheter notre repas du soir : ce sera salade de tomates au thon et fromage… Après le passage de l'Alto de San Roque où une énorme statue de pèlerin nous indique le chemin, nous arrivons enfin à Hospital da Condesa, but de notre étape, vers 19 h. Il fait déjà nuit. Le refuge est triste et glacé. Il y a déjà là 4 pèlerins qui grelottent… Nous dînons rapidement pour retrouver vite la chaleur de nos duvets…
 
 
Alors que les 4 autres pèlerins tentent, dans la cuisine, de se réchauffer en buvant du vin chaud, Sophie prend la flûte traversière qui voyage avec elle dans son sac à dos et joue pour moi une Sonate de Vivaldi
 
 
« rien que pour toi me dit-elle, parce qu’aujourd’hui j’ai rencontré mon ange… celui que l’on a mis pour moi, sur ce chemin… »
 
 
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21 février 2006 2 21 /02 /février /2006 12:00

 

Aujourd'hui, en attendant la 42 ème étape qui m'a menée de Véga de Valcarces (la Vallée-Prison) à Hospital-da-Condesa en Galice par l' O'Cebreiro que je redoutais tant... je vais faire une chose que je ne fais jamais... (peut-être par peur de "perdre" mes propres lecteurs !.... ) : je vous propose une petite lecture sur un autre site de Pèlerin qui, lui, est parti de Bruxelles...

Je vous propose cette lecture car elle m'a moi-même émue et résume parfaitement l'état d'esprit dans lequel se trouve tout pèlerin, lors de son départ, et tout au long du chemin. Je n'en dis pas plus, je vous laisse découvrir et apprécier : ici

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16 février 2006 4 16 /02 /février /2006 23:18

 

Porte de l'Enfer ou Porte du Paradis ?

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13 février 2006 1 13 /02 /février /2006 01:05
Le 41ème jour : Vendredi 26 Mai Cacabelos/Vega de Valcarce (27 km)
 
Je prends la route, seule, vers 8 heures. Je traverse Cacabelos : c’est jour de marché. Le village me montre un autre visage que celui que j’ai entrevu hier soir à la tombée de la nuit. Les rues ne me paraissent plus sombres et tristes… et interminables. Elles sont gaies, animées… et je traverse le village sans presque m’en rendre compte pour me retrouver, à nouveau, dans les vignes du Bierzo.
 
Je retrouve les odeurs d’ambre des cistes, mêlées à l’odeur subtile des églantines et à celle plus marquée du chèvrefeuille. Les buissons d’églantines auprès desquels je passe réveillent en moi de tendres souvenirs d’enfance. Les églantines sont devenues rares ces dernières années en France, interdites pour cause de feu bactérien. Je n’ai pas souvenir d’en avoir vu dans nos campagnes depuis mon enfance. Depuis que je marche dans les campagnes espagnoles j’ai l’impression de retrouver une végétation perdue de vue depuis longtemps.
 
Il pleuviote à nouveau, mais je ne mets pas mon poncho. Sophie est partie avant moi ce matin, j’ai rendez-vous avec elle à Villafranca del Bierzo, au refuge privé de la famille Jato. J’arrive vite à Villafranca et je descends vers le refuge superbe que j’aperçois en contrebas du chemin. Un message m’y attend : Dominique a déjà deux jours d’avance sur moi. Je commence à attendre patiemment Sophie, quand je me rends compte que je ne suis pas au refuge de la famille JATO, mais au refuge municipal. On m’indique l’autre gîte à quelques centaines de mètres, un peu plus haut. Je vais m’y restaurer et attendre Sophie. L’endroit est très chaleureux et bénéficie d’une belle notoriété sur le chemin. J’y apprends que Paolo Coelho est à deux jours de marche devant moi… J’ai donc peu de chance de le rencontrer vu la lenteur avec laquelle je marche… Sophie arrive alors que je finis mon assiette d’œufs frits au chorizo. Ca la met en appétit et elle commande la même chose, tout en me racontant sa visite à la banque. Tout va bien. Elle a pu changer tous ces travellers chèques d’un coup et a donc suffisamment d’argent maintenant pour continuer son périple. Elle n’a plus besoin de l’avance que je lui avais proposée la veille, mais nous décidons de marcher ensemble aujourd’hui car l’une et l’autre préférons prendre le chemin alternatif par Pradella. Alors que nous nous apprêtons à partir el Senor Jato nous propose de porter notre sac en voiture jusqu’au Cebreiro… Nous répondons en chœur que notre sac est vissé sur notre dos depuis le départ et jusqu’à la fin et qu’il n’est pas question que l’on s’en sépare, même pour nous rendre la montée plus facile !
 
La montée vers Pradella va nous éviter de suivre la nationale sur plusieurs kilomètres et de cotoyer les gros engins de travaux publics qui participent à la construction de la nouvelle autoroute.
 
Dès la sortie de Villafranca et le franchissement du rio Burbia la côte monte raide. Deux kilomètres d’ascension pour atteindre une altitude de 1250 m… à peine 50 m de moins que le Cebreiro que nous escaladerons demain. Le choix de passer par Pradella nous réserve une belle surprise. Après plus de deux heures de marche et quelques landes de bruyères et de genets d’Espagne, puis de maraîchages et potagers bien délimités, nous arrivons dans un village qui semble éloigné de tout et vivre en autarcie au rythme lent d’une autre époque. Curieusement nous devons monter un escalier de pierre pour aboutir sur la route qui mène au village. Il bruine, le ciel charrie de gros nuages violets. Nous nous abritons, au centre du village, sous un hangar métallique pour grignoter un peu. Notre arrivée crée l’événement et rassemble autour de nous tous les chiens des alentours. Et puis des ânes aussi, qui paraissent aussi étonnés et intéressés que les quelques villageois qui s’approchent pour nous parler. L’ambiance de ce village est étrange. Peut-être due à la lumière irréelle qui baigne le paysage. L’orage est prêt d’éclater, quelques rais de lumière traversent les nuages noirs, les maisons , brunes, paraissent austères et les habitants de ce village isolé semblent vivre comme sans doute vivaient déjà leurs ancêtres. Il y a bien l’électricité, il y a quelques antennes de télévision, mais le progrès n’a pas pénêtré ici de façon évidente, les charrues sont encore tirées par des bœufs, les engins agricoles semblent tout droit sortis d’une gravure d’antan. Lorsque nous déclinons notre qualité de pèlerines de Compostelle, nous avons l’impression d’être prises pour des extra-terrestres… mais sans hostilité…
 
Nous repartons vers Trabadelo et nous avons la surprise de découvrir que la beauté sauvage du village de Pradella aura été le seul intérêt de notre choix d’itinéraire, car nous redescendons maintenant par une route aussi raide que l’était la montée… Le chemin empierré qui nous mène dans la vallée en contrebas est bordé de magnifiques chataîgniers et ne semble pas être souvent fréquenté, ni par des piétons ni par des automobiles… nous n’en verrons aucune durant les 4 km et 1000 m de dénivellé que durera notre descente..
 
Mais nous retrouvons la pluie…et nous rencontrons Eugenia (prononcer : éourénia…) qui nous aide gentiment à remettre nos ponchos. Eugenia semble très intéressée de savoir si « là-haut » (elle parle de Pradella) nous avons vu des gens et si nous leur avons parlé… Sa question nous semble étrange et nous le lui disons…
 
-         Parce que, dit-elle, pour nous (en bas) ceux de là-haut sont des sauvages, on se demande même s’ils savent parler… Ils descendent ici seulement pour vendre leurs chataîgnes au bord de la route. Nous, on ne leur parle pas, on ne va jamais là-haut et on ne voudrait pour rien au monde que nos filles se marient avec un gars de là-bas où que nos fils nous ramènent une sauvage…
 
Je suis très étonnée (et même assez choquée il faut dire) par son discours. Je lui dis :
 
-         Mais vous n’avez jamais vu le village ? Vous n’êtes jamais allée là-haut ?
-         Dieu m’en garde ! me répond-elle… et elle fait un grand signe de croix !
 
Sa remarque nous laisse perplexes… Pradella n’est qu’à 4 kilomètres de Trabadelo et il semble que ces deux villages s’ignorent complètement et que ceux de Trabadelo considèrent avec un certain mépris les villageois de Pradella
 
Eugenia nous a accompagnées jusqu’à l’autoroute. Le passage sur l’autre rive de la vallée est assez délicat et nous devons franchir une zone de chantier importante où nos chaussures s’enfoncent dans la boue et où nous nous sentons perdues au milieu des énormes engins de chantier qui pourraient nous happer sans même nous voir. Heureusement pour nous un conducteur d’engin nous aperçoit, descend de son camion et vient lui-même nous montrer le passage… Une fois de l’autre côté nous ne sommes pas rassurées pour autant… Nous retrouvons la nationale que nous sommes obligées de longer durant 4 bons kilomètres avec la peur au ventre. Il pleut à verse… Nos ponchos, s’ils nous protègent de la pluie, ne nous permettent pas de voir grand-chose… Les voitures nous frôlent à chaque instant, et les camions ne font aucun effort pour nous éviter…
 
Enfin nous quittons la grande route et bifurquons vers Portella puis Ambasmestas… La nuit tombe mais nous arrivons enfin à Vega de Valcarce et n’avons aucun mal à trouver le refuge en plein centre du village. J’y retrouve 3 français de Grasse : Thérèse, Janine et Jeannot que j’ai déjà aperçus lors d’étapes précédentes… Nous ne serons encore une fois que 5 pèlerins dans le gîte…. C’est tellement plus reposant que les grands dortoirs bondés que je n’ai pu éviter parfois… Nous partons tous les 5 prendre le repas du pèlerin qu’offre pour une somme modique le seul restaurant du village. Ce sera un repas mémorable, une salade mixte incroyablement « composée » et un plat de morue et pommes de terre à la crème à nous faire éclater la panse… Dois-je encore signaler que nous sommes toujours dans le Bierzo ?
 
Le repas chaleureux récompense des peines ordinaires d’une journée de pèlerin(e)… mais les jambes sont lourdes ce soir et j’ai surtout très mal au bout des pieds, la descente de Pradella y est pour quelque chose… Heureusement demain ça monte… Pourvu que le soleil soit au rendez-vous, car ce fameux O' Cebreiro que tout le monde redoute nous devons l’escalader demain….
 
Ce soir je m’endors en Castille et demain soir je dormirai en Galice… si tout va bien.
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9 février 2006 4 09 /02 /février /2006 23:56
Le 40ème jour : RIEGO de AMBROS / PONFERRADA/CACABELOS (30 km)
 
J’ai dormi comme dans un rêve… aucun bruit n’est venu perturber mon sommeil, mais l’habitude faisant je me réveille vers 6 heures. Exceptionnellement, je paresse au lit car bien que la senora du Bar Santiago ait accepté d ‘ouvrir « tôt » pour moi, je n’ai rendez-vous qu’à 9 h 00 pour le petit-déjeuner (d’habitude elle ouvre à 10 h). Et puisque voilà plus d’un mois que je me lève aux aurores dans l’agitation fébrile des gîtes de pèlerins, je sais goûter aujourd’hui la rareté de l’instant… je flemmarde comme on dit dans le sud… et j’aime ça !
 
A 8 h 30 mon sac est prêt, je ferme la porte qui me retenait prisonnière hier et traverse le village encore endormi. Je ne vois pas l’ombre d’un chat ! J’arrive au bar Santiago, la patronne me salue avec chaleur. Je suis en effet sa première cliente ! Je déjeune tranquillement en dégustant quelques madeleines qui n’ont pas le goût des fameuses « mantecadas » d’Astorga
 
Enfin je prends la route vers 10 h en oubliant de rendre les clefs de ma chambre !
 
Il bruine, je descends une pente assez raide sur un chemin raviné et pierreux dont les lites d’ardoises sont devenues glissantes. Ce sentier étroit me conduit vers une chataigneraie majestueuse. Je tombe en arrêt devant un chataignier dont l’ampleur du tronc me laisse rêveuse. Je tente d’en prendre les mesures et compte 16 pas normaux… j’estime sa circonférence entre 12 et 15 mètres… incroyable ! D’ailleurs tous les autres arbres qui composent cette chataigneraie sont imposants et superbes.
 
Un peu plus bas je croise un pèlerin qui « revient » de Compostelle. Il est Espagnol et me demande s’il y a de quoi se ravitailler au village. Justement je lui donne l’adresse du Bar Santiago et lui demande s’il peut remettre les clefs que j’ai oublié de rendre à la propriétaire… Il les prend et me promet de les lui rendre…
 
Je descends vers Molinasecca, que j’aperçois par intermittence, par un sentier étroit bordé de cistes. Leur odeur d’ambre embaume l’air et leur parfum envoutant flotte sur le chemin. Le temps, lui, reste gris et bruineux.
J’entre dans Molinasecca par le pont des pèlerins, roman à l’origine, sur le rio Meruelo et traverse le village désert. Je passe devant l’immense refuge en grand nettoyage, tous les pèlerins ont déjà quitté les lieux. J’entre pour voir si Dominique m’a laissé un message, elle m’avait dit qu’elle le ferait parfois, et je tombe sur les deux hospitaleras anglaises de Rabanal. Nous nous embrassons et nous quittons aussitôt, elles sont très pressées… Vérification faite, je n’ai pas de message, je poursuis donc ma route vers Ponferrada. Sitôt sortie de Molinasecca, le soleil pointe le bout de son nez.
Lorsque j’arrive au joli petit village de Campos, le soleil tape dur. Je m’arrête un instant près de la Fontaine Romaine, récemment restaurée. L’eau en est bien fraîche et au bas de l’escalier qui mène à la source, on entre comme dans une grotte dont la fraîcheur nous enveloppe tout d’un coup. Je remonte à la lumière, m’assieds sur un banc… mais les petits tilleuls que l’on a planté depuis peu ne donne pas encore beaucoup d’ombre… Je mange une orange, bois une grande gorgée d’eau et je repars.
 
J’arrive à Ponferrada vers 14 h et bien que je demande mon chemin à plusieurs personnes, je n’arrive pas à trouver le refuge. Il y a beaucoup de travaux d’aménagement et je finis par me perdre …. En fait je n’ai pas envie de m’arrêter ici, la ville ne me plaît pas du tout. Grise, triste, les remparts en sont impressionnants et me donnent le bourdon. Je passe devant une cabine téléphonique et j’en profite pour appeler Steph au bureau… cela fait bien 4 ou 5 jours que je n’ai pu donner de mes nouvelles… Miracle, il répond ! Ca me fait un bien fou. Mon moral remonte en flèche et je m’octroie une bière bien fraîche à la terrasse d’un café. J’y rencontre un couple de Hollandais qui remarquant ma coquille me questionnent sur le chemin. Je leur réponds avec beaucoup d’enthousiasme et notre conversation devient vite animée. Ils font eux-mêmes le chemin d’une autre manière… Ils visitent, en voiture et en touristes, le patrimoine architectural et culturel du Camino Santiago. Ils se disent émerveillés par toutes ces richesses et cette beauté partout présente, même dans les tous petits villages. Je leur dis qu’en effet c’est un regret pour moi de ne pas toujours prendre le temps de visiter, églises, musées ou monuments remarquables, simplement parce qu’ils ne se trouvent pas exactement sur le chemin. Je me dis par contre que je pourrais revenir plus tard, si l’envie m’en prend, visiter certains endroits où je suis passée trop vite…
 
Il me reste encore à traverser la ville. Je hais les villes. Mais j’en profite pour dénicher un distributeur automatique pour renflouer ma bourse. Je traverse donc la ville et je subis les regards que l’on me lance avec mépris… Drôle d’impression de devenir aux yeux du plus grand nombre, une S.D.F. méprisable ! Je franchis le pont sur le rio Sil et me retourne : l’image est belle, le château ou plutôt la citadelle des templiers domine la ville, mais je quitte Ponferrada sans regrets, je préfère m’arrêter un peu plus loin.
 
Il fait maintenant très très chaud. A la sortie de Ponferrada je contourne de hauts terrils noirs, résidus de la Centrale Thermique de ENDESA, énormes et insolites montagnes noires qui se détachent sur le bleu du ciel. Je traverse Columbriano, et à l’ombre d’une petite église je retrouve Jean-Claude et Marie-Jo, Français de l’Ariège que je rencontre régulièrement depuis 2 semaines. Marie-Jo a jeté ses chaussures de marche qui la blessaient et a acheté à Ponferrada une paire de tennis pour marcher… Elle revit me dit-elle…
 
Je continue en pensant d’abord trouver de quoi loger chez l’habitant à Fuentes Nuevas. Mais je trouve un village désert. Puis j’arrive à Camponaraya, long village-rue, ou je pense trouver un refuge. Mais lorsque j’y arrive je dois déchanter, s’il s’y trouve bien une chapelle de la Solitude, « on » me dit aussi qu’il n’y a plus de gîte et que le plus proche se trouve à Cacabelos à 6 km de là ! Il me faut continuer encore…
 
La traversée à travers les vignes qui produisent le fameux « berciano » est magnifique, mais le soir tombe, et la fatigue se fait maintenant bien sentir. Je vois le soleil décliner à l’horizon et je ne vois toujours pas les premières maisons de Cacabelos. Une énorme fatigue me prend d’un coup, je me demande si je vais pouvoir arriver avant la nuit. Sans doute pas. Lorsque j’arrive à Cacabelos, je demande mon chemin. On m’indique que le refuge se trouve à l’autre bout du village… encore deux kilomètres de plus… deux kilomètres de trop, j’en pleurerais presque. Lorsque j’y arrive enfin, je ne tiens plus debout et manque de m’écrouler sur le seuil de cette ancienne maison des instituteurs, transformée en refuge.
 
Et puis là le miracle du chemin joue encore… Je suis accueillie à bras ouverts par un petit groupe de pèlerins arrivés avant moi, 3 françaises, 1 français et 1 anglais, qui me tend d’emblée un verre de vin rouge. Je prends le verre et le bois d’un coup et je sens disparaître peu à peu la tension qui s’était accumulée entre mes épaules durant les derniers kilomètres… Nous ne sommes donc que 6 dans ce petit refuge. Et je fais connaissance avec mes colocataires d’une nuit.  Sophie, une jeune française,  a un problème financier. Elle voyage avec des travellers chèques qu’elle n’a pas réussi à se faire payer. Elle compte aller demain à la banque de Villafranca, mais n’a plus d’argent pour continuer… Je lui propose de lui avancer du liquide si besoin, elle me remboursera plus tard à son retour… Nous décidons de faire route ensemble demain, au moins jusqu’à Villafranca del Bierzo. L’Anglais est très heureux de pouvoir enfin parler avec quelqu’un qui parle anglais. Il me raconte son histoire. Cela fait une semaine qu’il est bloqué au refuge pour cause de soins. Il a été gravement blessé à un pied par un piège posé sur le chemin. Il a marché 14 km le pied en sang. Lorsqu’il est arrivé au refuge un médecin est venu le soigner et revient tous les jours depuis une semaine pour lui changer le pansement. Il n’a pas voulu aller à l’hopital, pensant que peut-être il pourrait repartir après quelques jours de soins. Malheureusement son pèlerinage s’arrête là. Il prend le bus lundi prochain pour Santiago. De là il repartira vers l’Angleterre, mais se promet de revenir dans quelques mois à Cacabelos et de reprendre le chemin là où il l’a involontairement interrompu, pour terminer quand même son pèlerinage… Tout en me racontant son histoire, il me sert un autre verre, puis un autre encore, finalement nous finirons la bouteille… Nous partageons nos provisions et improvisons un repas dans une ambiance très joyeuse (je crois que le vin y est pour quelque chose…).
 

J’ai parcouru aujourd’hui plus de 30 km… le "berciano" aidant, je n’ai aucune peine à m’endormir…

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5 février 2006 7 05 /02 /février /2006 22:20

 

Le 39ème jour – Mercredi 24 Mai : Rabanal/ Riego de Ambros (23 km)
 
La beauté du paysage et ma solitude, seront l’expression de mon chemin toute la journée.
 
Je suis en grande forme, malgré la nuit sans sommeil. Mes pieds ne sont pas douloureux, je ne sens plus le poids de mon sac et aujourd’hui je prends allègrement le chemin qui monte vers le point (à 1504 m) le plus élevé du Chemin entre Roncevaux et Santiago. A la sortie de Rabanal, une croix rappelle qu’il y a peu un pèlerin de 76 ans est tombé là pour ne plus se relever. Les gens du village m’ont parlé de lui, hier. Il était gravement malade, il avait déjà parcouru le chemin une première fois, il y est revenu pour terminer sa vie.
 
Le chemin, bordé de hautes herbes et de fleurs sauvages, traverse deux fois la route qui escalade los Montes de Léon pour redescendre vers Molinasecca puis Ponferrada. Alors que j’arrive aux abords de la route goudronnée, je vois arriver un autobus bondé et s’agiter une centaine de mains encourageantes. C’est un bus de « pèlerins anglais » qui se rendent à Compostelle… C’est un truc idiot, mais j’ai le cœur qui se soulève de joie et de fierté… L’enthousiasme de ces gens qui m’applaudissent au passage me remue les entrailles. Je réalise tout à coup que je suis partie de chez moi depuis plus d’un mois, que j’ai déjà parcouru 700 kilomètres, seule la plupart du temps, que même dans les moments où la fatigue me dépassait, et où les blessures me ralentissaient, je n’ai jamais abandonné cette longue marche dont j’oublie parfois la destination… mais dont je ne suis pas près d’oublier les enseignements. J’ai souvent la sensation d’être hors du temps… marchant sur un chemin mythique qui n’aurait jamais eu de début et n’aurait plus jamais de fin… marchant pour l’éternité…
 
Après 5 km de marche j’entre dans Foncebadon, village pratiquement abandonné où seuls quelques chiens se battent rageusement pour une chienne en chaleurs. L’un des chiens a une oreille en sang, lorsque j’arrive sur lui il écume de rage et bave de dépit, pour l’honneur, et la sauvegarde de son territoire et de quelques vaches, mon bâton n’est pas de trop pour calmer ses aboiements furieux… Pas une âme qui vive malgré deux ou trois maisons fraîchement restaurées. Ce village me laisse une impression étrange… Je crois me souvenir d’un passage du livre de Paulo Coelho « Le pèlerin de Compostelle » où il citait ce village et n’avait pas une meilleure impression que moi… Pourtant, tout autour, le paysage est d’une beauté à couper le souffle. Des bruyères et des ajoncs sur fond de vert tendre, le ciel bleu et l’espace infini… A la sortie de ce minuscule village je suis surprise par un concert de grenouilles. Il y a là des abreuvoirs en pierre où ont élu domicile des milliers de batraciens dont les œufs ont éclos au début du mois de Mai. Cette cacophonie symphonique m’empêche d’entendre arriver des vététistes qui déboulent sur moi à la vitesse de l’éclair et manquent de me renverser… Surprise je fais un écart, glisse sur le sol spongieux et me retrouve nez à nez avec une jolie grenouille… Je n’ai pas le temps de vérifier en l’embrassant s’il s’agit du Prince Charmant, qu’elle est déjà bien loin !
 
J’attaque une rude montée vers la Cruz de Ferro (ou Cruz de Hierro) à 1490 m… C’est un des hauts lieux du chemin. Petite croix fichée en haut d’une longue perche de 5 mètres, dans un monticule de cailloux plus ou moins gros venus des 4 coins du monde, cette croix de fer est probablement la dernière des 400 pieux que le Conseil d’Acebo (village voisin) se chargeait d’entretenir pour baliser la route lorsque la neige recouvrait le chemin. Il est de tradition d’ajouter sa propre pierre à l’édifice… Je pose mon sac pour y chercher le caillou qui vient de mon jardin et qui a fait la route avec moi jusqu’ici. Les vététistes, qui y sont arrivés avant moi sont en train de prendre la pause pour la photo souvenir et l’un d’eux, qui ne m’a pas vue, se tourne vers moi et baisse son short pour uriner… Je baisse pudiquement le bord de mon chapeau de cuir et j’attends qu’ils repartent pour m’avancer vers la fameuse cruz de ferro et déposer sur le cairn énorme ma pierre de Chalosse.
 
Sur deux kilomètres le chemin est pratiquement horizontal, cela me permet de jouir d’une vue extraordinaire jusqu’à Léon à l’Est vers la Castille et jusqu’au Cebreiro à l’Ouest vers la Galice… Le vent balaye cette espace dégagé et le froid me mord les joues mais la demi-heure suivante est absolument jouissive…
 
Puis la route redescend doucement jusqu’au petit refuge de Manjarin, qui lors des traversées hivernales a sauvé plus d’un pèlerin… et je me dis que c’est un bon moment pour un thé chaud au soleil et à l’abri du vent… Je suis d’abord accueillie par des oies vindicatives qui ont décidé de ne pas me laisser entrer… Je suis obligée d’appeler l’hospitalera pour pouvoir me frayer un chemin en surveillant mes arrières car l’une des oies veut absolument me pincer les mollets.
 
Le petit refuge de Manjarin qui peut recevoir jusqu’à 10 pèlerins est un endroit pas ordinaire. Extérieurement il ressemble à un vrai refuge de montagne, en pierres, avec toit d’ardoises plates et cheminée toujours fumante… mais à l’intérieur cela tient de la caverne d’Ali Baba, des chemins de Katmandou et d’un joyeux cafarnaum éminemment sympathique et chaleureux. Les deux hospitaliers, Ramon et Christina, qui gardent le refuge en permanence sont assez jeunes et accueillants, (les deux oies qui traînent là le sont moins et essayent de me pincer à plusieurs reprises…). Je discute avec eux pendant près d’une heure tout en me servant de temps en temps à la cafetière qui maintient le café au chaud sur le poêle à bois… Christina me raconte comment le refuge, qui devait fermer l’année dernière, a été sauvé de justesse par une pèlerine un peu spéciale… Histoire miraculeuse que je choisis de croire parce qu’il fait beau et que l’endroit s’y prête… Je resterai une petite heure à Manjarin mais notre contact sera très chaleureux… Je quitte le refuge alors que les coquillards rencontrés à El Ganso la veille, arrivent en voiture.
 
Le chemin, après une courte pente douce remonte à nouveau, le point culminant se situe un peu plus haut, à 1504 m, Puerto de Irago, j’y arrive sans presque m’en rendre compte mais je sais qu’une descente de 1000 mètres m’attend maintenant… et que le bout de mes pieds va le sentir !
 
J’aperçois tout en bas d’une descente raide le superbe petit village d’El Acebo (Le Houx) qui figurait déjà dans les récits historiques des pèlerins du moyen-âge… Vieux village-rue aux balcons de bois sculpté et aux petits escaliers extérieurs El Acebo ne manque pas de charme avec ses ruelles aux passages couverts et ses toitures d’ardoises bleues… C’est un village vivant comparé à Foncebadon ou même Manjarin où ne subsistent que deux granges et quelque oies revêches… Comme le village est accueillant et que le soleil est au zénith, je m’y arrête pour déguster une petite tortilla et 3 feuilles de salade. Le patron de l’auberge qui m’accueille est très déçu que je ne reste pas. Il vient d’aménager des chambres, tout est neuf et confortable, il peut accueillir 23 pèlerins. Mais je suis en forme,je voudrais descendre peut-être jusqu’à Molinasecca ou même Ponferrada… Je repars…
 
En sortant d’El Acebo, je rencontre 7 cavaliers (6 pèlerins français et leur guide espagnol : Fernando Aviles de Jaca) partis de St Jean-Pied de Port, en route vers Santiago. Puis quelques centaines de mètres plus loin un cycliste anglais s’arrête pour me parler. C’est la première fois qu’un cycliste s’arrête pour me dire quelques mots. D’habitude ils n’ont même pas un regard pour les pauvres escargots que nous sommes. Il s’appelle Brian (à croire que tous les anglais que je rencontre sur le chemin s’appellent Brian !). Il me dit qu’il est émerveillé, que tout est beau, qu’il avait oublié (habituellement noyé dans les brumes anglaises… ce sont ses mots !) qu’il pouvait exister des paysages aussi merveilleux, tant d’espace et de profondeur. Il me dit aussi qu’il fallait absolument qu’il s’arrête pour en parler à quelqu’un, qu’il ne pouvait pas garder en lui tous ces sentiments qui se bousculent, exacerbés par toute cette beauté qui nous éclabousse. Je souris… et bien que nous ne parlions pas la même langue, je trouve enfin quelqu’un qui parle le même langage que moi… Cette communion nous rend joyeux, nous nous embrassons chaleureusement, en riant aux éclats, simplement heureux de partager ce spectacle fantastique. Pour fêter ça, Brian me donne rendez-vous le soir même à Molinasecca pour partager un verre, et repart sur son vélo en agitant la main…
 
J’arrive à Riego de Ambros, village de bois aussi joli qu’El Acebo. Je vois qu’on peut y dormir chez l’habitant… Je ne suis plus qu’à 5 km de Molinasecca, l’après-midi est à peine entamé, j’ai largement le temps d’arriver, peut-être même à Ponferrada. Et puis je pense au gîte immense, 60 lits, les ronfleurs, les emmerdeurs… Tous comptes faits, je préfère rester là. Je trouve rapidement une jolie petite chambre chez l’habitant dans une très jolie petite maison avec balcon de bois et géraniums aux fenêtres. Je m’installe et commence par me faire couler un bain chaud. Quel délire !!! je patauge dans les bulles de savon qui ont un goût de paradis retrouvé, je frotte ma peau tannée par le soleil et tente de gommer toute la poussière du chemin. Je me lave les cheveux, les dents, les ongles et procède à un nettoyage en règle. J’ai l’impression d’avoir accumulé un siècle de crasse… Après un rincage méthodique, y compris de la baignoire, je craque et me fais couler un deuxième bain où je me plonge avec délice et où je finis par m’endormir… Je dors exactement deux heures dans la baignoire et je me réveille en sursaut ne sachant plus où je me trouve… Je grelotte, l’eau du bain est devenue glacée, je reprends une douche chaude. Ca va, je suis propre comme un sou neuf ! Je me sèche les cheveux et je m’apprête à quitter la maisonnette pour aller visiter un peu ce joli village et repérer l’endroit où je pourrais dîner ce soir. On m’a donné deux clefs. L’une pour la chambre, l’autre pour la porte d’entrée, mais impossible de sortir de la maison. La deuxième clef ne fonctionne pas. Je suis enfermée à l’intérieur  ! Je sors sur le balcon, personne dans la rue et le balcon est trop haut pour que je saute. J’aperçois juste à quelques centaines de mètres de là, un couple de paysans qui jardinent au fond d’un champ. Je les appelle, je leur fais de grands signes, ils ne me voient pas. Alors je m’enhardis, j’appelle plus fort, en espagnol… et puis je finis par crier à pleins poumons… ils m’entendent enfin, lèvent la tête mais ne comprennent pas ce que je veux leur dire… Il me faut plus d’une demi-heure de gesticulations sur mon balcon pour qu’ils viennent vers moi et comprennent enfin ce qu’il se passe. Le fermier court avertir la propriétaire qui finalement vient me délivrer avec une autre clef…
Je pense que Brian trouvera sans doute à Molinasecca un autre pèlerin pour trinquer à la beauté du paysage. Je dîne seule al Meson "Ruta Santiago", d’asperges fraîches et de poisson… Le bain chaud après l'air vif et piquant de la montagne m’a épuisée… Je m’écroule dans un lit douillet comme je ne savais plus qu’il en existait et je passe une nuit sublime dans un silence ouaté…

 

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