Le 26ème jour : Jeudi 11 Mai – Hornillos del Camino /Castrojeriz (20 km) | |
La pluie s’est arrêtée et nous partons à trois ce matin. Isabelle, Béa et moi. Nous sortons du village en prenant l’unique rue étroite qui nous conduit à travers champs… Très vite Isabelle prend les devants. Nous la perdons de vue rapidement. Le chemin grimpe vers un plateau qui domine la meseta. Il fait encore un peu frais mais aux abords des vestiges de San Bol le soleil déjà haut réchauffe l’atmosphère… Je me demande si Marco, à qui j’ai dû hier d’avoir un lit au refuge d’Hornillos, s’est arrêté ici pour la nuit. Un tout petit refuge vient d’y être construit, avec une belle cheminée aragonaise. Bien que l’endroit soit désertique tout a reverdi alentour et je regrette de ne plus avoir de pellicule dans mon appareil photo.
S’il fait relativement beau ce matin, la pluie de la veille a encore bien détrempé le chemin… très vite je me retrouve avec des bottes de 7 lieues qui pèsent une tonne et avec lesquelles il devient très difficile d’avancer.
Vers midi nous parvenons quand même à Hontanas, magnifique village qui apparaît soudain en contrebas d’une colline, comme une oasis surgit du désert. Il faut être tout près du village pour le voir, les murs de pierre, couleurs de sable, se confondent avec les ocres du chemin et nul arbre ou tâche verdure ne vient interrompre ce camaïeu de beiges…
Nous nous arrêtons chez Vitorino alléchées par des odeurs de grillades d’agneau... Le propriétaire des lieux est une figure que l’on n’oublie pas sur le camino. A mi-chemin entre le clown Zavatta et Casimodo… pour l’heure il joue les vedettes en nous faisant la démonstration que l’on peut boire aussi avec son front et son nez… Je ne m’arrête pas à l’aspect peu hygiénique de sa cuisine, je me fis juste à son odeur… le repas sera copieux et réconfortant d’une bonne soupe de garbanzos et de chuletas de cerdo.
Mais tout à coup Béa se lève, livide… elle ne se sent pas bien, grelotte. Je l’aide à monter dans une chambre, je lui mets une couverture pour la réchauffer… Dehors un orage brutal a éclaté, fort, mais finalement bref… Je laisse Béa dormir un peu puis je la réveille pour qu’on reprenne la route.Elle se sent mieux, mais ce n’est pas la grande forme. Je l’encourage, sans quoi je crois qu’elle préfèrerait rester ici, mais je ne sens pas très bien ce Vitorino qui nous annonce être encore « vierge » et très désireux de perdre son pucelage avec une pèlerine… Il est suffisamment pressant pour que Béa préfère en fin de compte repartir avec moi !
Dès la sortie du village le paysage change complètement : tout est vert, on se croirait en Irlande. Nous passons près des ruines de l’Eglise San Vicente (XI ème siècle) dans le Valdemoro (la vallée des Maures) dont il ne reste qu’un pan de mur, fiché au garde-à-vous au bord du chemin devenu très étroit. La pluie nous rattrape à nouveau puis se calme, nous voyons partir sous nos pieds des lapins, des perdreaux, puis émerveillées nous suivons le plus silencieusement que nous pouvons un renard qui ne tardera pas à nous repérer mais nous observera à son tour tout en gardant une certaine distance entre nous…
Nous passons enfin sous l’Arche grandiose du Convento de San Anton, le Couvent de Saint-Antoine où les moines distribuaient autrefois des repas aux pèlerins. Ce couvent fut confié aux Antonins, chanoines d’obédience française, par Alphonse VI. Leur ordre avait été fondé pour soigner le « feu de Saint-Antoine » (érysipèle), les malades au Xème siècle venaient ici chercher la guérison… Les moines ont disparu, mais l’arche imposante surplombe toujours le chemin qui conduit à Castrojeriz dont on aperçoit déjà les premières maisons.
La vue sur cette petite ville qui fut un haut lieu du pèlerinage vers Compostelle est à couper le souffle. C’est fantastique, merveilleux… mais le ciel est très noir et le vent fait claquer nos ponchos et le linge que nous avons mis à sécher sur nos sacs à dos. L’arrivée jusqu’à l’Albergue nous semble interminable et la pluie nous rattrape à nouveau…
Nous arrivons assez tard, à la nuit tombée, mais il y a cependant un lit pour nous, enfin… un matelas par terre et de plus une grand surprise m’attend : je suis accueillie avec un grand sourire par Alain, le mari de Dominique, une amie des Landes. Hospitalier à Castrojeriz pour quelques semaines, il m’annonce que sa femme est sur le chemin à deux jours derrière moi.
Mon pied droit me fait toujours très mal et j’ai peur que cela ne s’infecte, Alain me dit que le médecin de permanence vient demain matin. Je lui montre mon pied… aussitôt il décide de m’emmener au Centre Hospitalier de Fromista à 25 km de là. On « récure » la plaie, on la désinfecte mais le médecin, une femme très douce, décide de ne pas ouvrir, ce qui m’obligerait à m’arrêter. Elle me dit de laisser la plaie sécher à l’air, de désinfecter régulièrement et surtout de ne pas mettre de pommade qui ramollit les chairs et les rend plus fragiles au frottement des chaussures. Elle me conseille d’éviter de marcher au moins une journée. Soins gratuits. Alain me ramène à l’Auberge, je rejoins les trois filles qui m’attendent au bar Oliva. Elles ont terminé leur repas mais ont hâte de savoir si demain je reprends le chemin… A vrai dire, je n’en sais rien encore !