Le 19ème jour : Jeudi 4 Mai VIANA/LOGRONO/NAVARRETE
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Après l’expérience des grandes villes et donc des grands refuges, se renforce l’idée que j’ai tout intérêt à éviter les unes et les autres ! Je prévois de faire halte dorénavant dans les petits refuges, quite à faire des étapes plus courtes… mais tout me semble préférable, même une nuit à la belle étoile, à ces grands rassemblements bruyants et dérangeants… J’ai pris goût à la solitude.
Le départ de Viana se fait encore une fois sous la pluie qui ne s’arrêtera qu’à l’entrée de Logrono.
Je quitte la Navarre pour entrer dans la Rioja, pays de vignes mais aussi de marais et de terres lagunaires baignées par l’Ebro.
C’est Félisa, brave mémé qui arrête les pèlerins pour en faire le décompte, qui m’obligera à ma première halte de la matinée. La maison de Félisa est située sur le bord du chemin, et dès les premières heures du jours Félisa est à son poste, prête à établir les comptes de la journée, elle est devenue une figure emblématique du chemin.
Elle possède son propre « sello » (prononcer : « sélio ») ou « cuno » (prononcer « counio ») c’est à dire le timbre que l’on appose sur les « credentiales » pour justifier du passage à un endroit donné. Sur le sien figurent trois mots et leurs légendes... "des figues, de l'eau et de l'amour".
Elle me demande de signer son livre d’or, elle m’appelle « hija » (« ma fille ») et me demande de faire une prière pour elle à Compostelle. Je lui en fait la promesse et j’accepte avec gratitude les figues sèches de son figuier. Je lui laisse une obole pour toutes ses gentillesses… Elle me serre fort dans ses bras, je l’embrasse et elle me dit : « va ma fille, va ! ». La pluie s’arrête, j’en profite pour quitter le poncho. La traversée de Logrono est éprouvante. Je déteste la traversée des grandes villes. Je marche près de 2 heures à travers rues et ruelles tristes et sombres, je traverse des faubourgs hideux et sans poésie avant d’arriver sur les boulevards extérieurs, mais la ville est en travaux, je me retrouve au milieu d’un immense chantier où évoluent d’énormes engins. C’est le chauffeur d’un bulldozer qui me voyant perdue au milieu des ornières boueuses descendra de son mastodonte pour me montrer le chemin.
J’emprunte un passage souterrain qui passe sous l’autoroute. Tous les murs sont taggués, mais ces taches de couleurs dans la grisaille mettent de la gaieté dans l’air. Je rentre dans le Domaine de La Grajera, aménagé en Centre touristique autour d’un magnifique plan d’eau. A cette époque de l’année l’endroit est désert, seulement fréquenté par quelques « joggueurs ». Je décide d’y faire ma pause casse-croûte : un bout de chorizo, la « guajada » achetée la veille et un gâteau sec aux amandes… Cette halte est salutaire car je viens de faire 15 km depuis mon départ de Viana et j’accuse un peu de fatigue…
La montée dans les champs de vignes est bien raide et depuis quelques heures le vent souffle fort. Je longe sur 3 bons km l’autoroute dont je suis séparée par un grillage avant de pénétrer dans Navarrete par une rue pavée dont les maisons restaurées paraissent très anciennes.
On m’indique l’Albergue dans un immeuble vétuste en cours de restauration. L’endroit est magnifique. L’intérieur, refait à neuf augure d’une agréable nuit. Le « dortoir » est immense et toutes les couches sont occupées. C’est un peu la tour de Babel, j’entends parler anglais, allemand, espagnol, italien, portugais (brésilien) et assez peu le français. Il s’instaure entre tous une manière d’échanger et de communiquer qui tourne souvent autour des petits et grands maux du chemin : ampoules, mal aux pieds, mal aux jambes, mal au dos… petits et gros bobos, mais aussi parfois la communication se fait plus profonde par un mot ou un regard, un geste, une attention… nous savons appartenir à une même communauté. La douche, comme chaque jour, remet les compteurs à zéro. J'ai marché pendant 22 km aujourd'hui... Malgré la fatigue je me sens en pleine forme. Je pars visiter un peu la ville, je tente de joindre les miens au téléphone sans succès. Le moral baisse d’un coup… Est-ce la déception de n’avoir pu joindre personne au téléphone, je me couche sans dîner et sombre aussitôt dans un sommeil profond.